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nouveau et aller l’une vers le nord, l’autre vers le sud. Il est à croire, pensais-je, qu’en exigeant de la cour de Portugal tous les renseignements qu’elle eût pu procurer, on eût trouvé que la communication de l’est à l’ouest existait déjà, ou que ce qui restait à faire était peu de chose. Avec nos idées du jour, notre enthousiasme, nos entreprises, nos prodiges, on eût facilement trouvé cinq à six cents bons soldats, des chirurgiens, des médecins, des botanistes, des chimistes, des astronomes, des naturalistes, tous de bonne volonté, qui eussent indubitablement accompli quelque chose digne du temps.

L’attirail nécessaire en bêtes de somme, en petites nacelles de cuir pour traverser les rivières, en outres pour porter de l’eau à travers les déserts, en petite artillerie très maniable, etc., en eût assuré une entière et facile exécution.

« Nul doute, disait l’Empereur, que votre idée ne m’eût plu. Je m’en serais saisi, je l’aurais fait passer dans les mains de quelque commission, et j’aurais marché au résultat. »

Il regrettait fort, disait-il, de n’avoir pas eu lui-même le temps, durant son séjour en Égypte, d’accomplir quelque chose de cette espèce. Il avait des soldats tout propres à braver le désert. Il avait reçu des présents de la reine du Darfour et lui en avait envoyé. S’il fût demeuré plus longtemps, il allait pousser fort loin nos vérifications géographiques dans les parties septentrionales de l’Afrique, et cela avec la plus grande simplicité d’exécution, en plaçant seulement dans chaque caravane quelques officiers intelligents, pour lesquels il se serait fait donner des otages, etc., etc.

La conversation est passée de là à la marine et à son département. L’Empereur l’a traitée à fond. Il ne pouvait pas dire qu’il fût content de Decrès ; et l’on pouvait, pensait-il, lui reprocher peut-être sa constance à son égard. Mais le manque de sujets avait dû le maintenir ; car après tout, assurait-il, Decrès était encore ce qu’il avait pu trouver de mieux. Gantheaume n’était qu’un matelot nul et sans moyens, qui avait fait manquer trois fois, disait-il, la conservation de l’Égypte. Caffarelli avait été perdu dans son esprit, parce qu’on s’était artificieusement étudié à lui peindre sa femme comme une faiseuse d’affaires[1], ce qu’on savait équivaloir pour lui à une proscription certaine. Missiessi était un homme peu sûr ; lui et sa famille étaient très attachés aux Bourbons, ce qui les avait fait accuser

  1. Des amis m’ont assuré que ces expressions avaient été bien pénibles à ceux qui en étaient l’objet ; cependant je puis assurer qu’elles avaient été prononcées dans des intentions tout à fait bienveillantes pour Caffarelli, et faites même pour le flatter. L’Empereur, en mentionnant les causes que l’intrigue avait mises en avant pour écarter du ministère cet administrateur distingué, avait été bien loin de prononcer qu’elles étaient réelles ; bien au contraire : et j’aurais été d’autant plus malencontreux dans mon récit, que c’est une famille à laquelle je suis fort attaché.