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grandes crises, lui dis-je, Madame, le lot des femmes est d’adoucir nos traverses ; retournez à votre mari, et ne le tourmentez pas. »


Invitation ridicule de sir Hudson Lowe.


Samedi 11.

À quatre heures, j’étais chez l’Empereur. Le grand maréchal y est entré ; il lui a donné un billet ; l’Empereur, après l’avoir parcouru des yeux, l’a rendu en levant les épaules et disant : « C’est trop sot, point de réponse. Passez-le à Las Cases. »

Le croira-t-on ? c’était un billet du gouverneur au grand maréchal, invitant le général Bonaparte à venir rencontrer à dîner, à Plantation-House, lady Loudon, femme de lord Moira. Je suis devenu rouge de l’inconvenance ! Pouvais-je imaginer rien au monde de plus souverainement ridicule ! Sir Hudson Lowe ne trouvait sans doute rien de plus simple ; et pourtant il a été longtemps dans les quartiers-généraux du continent ; il s’est trouvé mêlé aux transactions diplomatiques du temps !!!…


Napoléon à l’Institut – Au Conseil d’État – Code civil – Bertrand de Molleville – Mot pour lord Saint-Vincent – Sur l’intérieur de l’Afrique – Ministère de la marine – Decrès.


Dimanche 12.

L’Empereur, se promenant au jardin et causant sur divers objets, s’est arrêté sur l’Institut, sa composition, son esprit. Lorsqu’il y parut à son retour de l’armée d’Italie, dans sa classe composée d’environ cinquante membres, il pouvait se considérer, disait-il, comme le dixième Lagrange, Laplace, Monge, en étaient la tête. C’était un spectacle assez remarquable, ajoutait-il, et qui occupait fort les cercles, que de voir le jeune général de l’armée d’Italie dans les rangs de l’Institut, discutant en public, avec ses collègues, des objets très profonds et fort métaphysiques. On l’appela alors le géomètre des batailles, le mécanicien de la victoire, etc., etc.

Napoléon, devenu Premier Consul, ne causa pas moins de sensation au Conseil d’État. Il présida constamment les séances de la confection du Code civil. « Tronchet en était l’âme, disait-il, et lui, Napoléon, le démonstrateur. Tronchet avait un esprit éminemment profond et juste, mais il sautait par-dessus les développements, parlait fort mal, et ne savait pas se défendre. » Tout le Conseil, disait l’Empereur, était d’abord contre ses énoncés ; mais lui, Napoléon, dans son esprit vif et sa grande facilité de saisir et de créer des rapports lumineux et nouveaux, prenait la parole, et, sans autre connaissance de la matière que les bases justes