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période, les deux nations se plongent dans tous les excès qui peuvent dégrader l’esprit et le cœur. Elles se déshonorent par des scènes de fureur, de sang et de folie ; elles brisent tous les liens et renversent tous les principes.

« Alors dans les deux pays, deux hommes, d’une main vigoureuse, arrêtent le torrent et règnent avec lustre. Après eux les deux familles héréditaires sont rappelées ; mais toutes deux prennent une mauvaise direction. Elles font des fautes ; une nouvelle tempête éclate inopinément dans les deux endroits, et rejette en dehors du territoire les deux dynasties rétablies, sans qu’elles aient pu venir à bout de faire opposer la moindre résistance aux deux adversaires qui les renversent.

« Dans ce parallèle singulier, Napoléon se trouve avoir été en France tout à la fois le Cromwell et le Guillaume III de l’Angleterre. Mais comme tout rapprochement avec Cromwell a quelque chose d’odieux, je me hâte d’ajouter que si ces deux hommes célèbres coïncident dans une seule circonstance, il est difficile de différer davantage sur toutes les autres.

« Cromwell paraît sur la scène dans un âge mûr. Il n’arrive au premier rang qu’à force de duplicité, d’adresse et d’hypocrisie.

« Napoléon s’élance à peine au sortir de l’enfance, et ses premiers pas brillent d’une gloire pure.

« C’est en opposition et en haine de tous les partis, en imprimant une souillure éternelle à la révolution anglaise, que Cromwell arrive au pouvoir suprême.

« C’est au contraire en effaçant les taches de la Révolution française, et par le concours de tous les partis qui s’efforcent tour à tour de l’avoir pour chef, que Napoléon monte sur le trône.

« Toute la gloire militaire de Cromwell fut acquise sur le sang anglais ; tous ses triomphes durent être autant de deuils nationaux. Ceux de Napoléon ne frappèrent jamais que l’étranger, et remplirent d’ivresse la nation française.

« Enfin la mort de Cromwell fut la joie de toute l’Angleterre ; elle devint une délivrance publique. On ne saurait en dire précisément autant de Napoléon.

« En Angleterre, la révolution fut le soulèvement de toute la nation contre le roi. Il avait violé les lois, usurpé le pouvoir absolu : elle voulut rentrer dans ses droits.

« En France, la révolution fut le soulèvement d’une partie de la nation contre une autre partie ; celui du tiers-état contre la noblesse ; la