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solation ; neuf mois étaient écoulés, il ne les avait point reçus ; il avait demandé des nouvelles de son fils, de sa femme, on était demeuré sans répondre.

« Quant aux comestibles, aux meubles, au logement, avait-il continué, vous et moi sommes soldats, Monsieur ; nous apprécions ces choses ce qu’elles valent. Vous avez été dans ma ville natale, dans ma maison peut-être ; sans être la dernière de l’île, sans que j’aie à en rougir, vous avez vu toutefois le peu qu’elle était. Eh bien ! pour avoir possédé un trône et distribué des couronnes, je n’ai point oublié ma condition première : mon canapé, mon lit de campagne, que voilà, me suffisent. »

Le gouverneur a fait l’observation que ce palais de bois et tout ce qui l’accompagne était du moins une attention.

« Pour vous satisfaire peut-être aux yeux de l’Europe, a repris l’Empereur ; mais à moi ils sont tout à fait indifférents et étrangers. Ce n’est point une maison, ce ne sont point des meubles qu’il fallait m’envoyer ; mais bien plutôt un bourreau et un linceul ! Les uns me semblent une ironie, les autres me seraient une faveur. Je le répète, les instructions de vos ministres y conduisent, et moi je le réclame. L’amiral, qui n’est point un méchant homme, me semble à présent les avoir adoucies ; je ne me plains point de ses actes, ses formes seules m’ont choqué. » Ici le gouverneur a demandé si dans son ignorance il n’avait pas lui-même commis quelques fautes : « Non, Monsieur, nous ne nous plaignons de rien depuis votre arrivée. Toutefois un acte nous a blessés : c’est votre inspection de nos domestiques ; en ce qu’elle était injurieuse à M. de Montholon, dont c’était suspecter la bonne foi ; petite, pénible, offensante envers moi, et peut-être aussi envers un général anglais lui-même, qui venait mettre le doigt entre moi et mon valet de chambre. »

Le gouverneur était assis dans un fauteuil en travers de l’Empereur, demeuré étendu sur son canapé. Il faisait sombre, le soir était venu, on ne se distinguait plus bien. « Aussi, remarquait l’Empereur, est-ce inutilement que j’ai cherché à étudier le jeu de sa figure et à connaître l’impression que je pouvais causer en ce moment. »

Dans le cours de la conversation, l’Empereur, qui avait lu le matin la campagne de 1814 par Alphonse de Beauchamp, dans laquelle tous les bulletins anglais sont signés Lowe, a demandé au gouverneur si c’était lui. Celui-ci s’est hâté de répondre et avec un embarras marqué qu’ils étaient de lui, et que cela avait été sa manière de voir.