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de moi. Les auditeurs de son ambassade, ces jeunes gens mêmes avaient été choqués de sa tenue, et furent jusqu’à l’accuser d’intelligence avec l’ennemi, ce que je fus loin de croire. Mais il eut en effet avec moi une longue conversation qu’il dénature, comme de raison ; et c’est pendant même qu’il débitait complaisamment un long verbiage d’esprit, que je jugeais être autant d’inepties et d’impertinences, que je griffonnai sur le coin de la cheminée, sous les propres yeux de M. de Pradt, et tout en l’écoutant, l’ordre de le retirer de son ambassade et de l’envoyer au plus tôt en France. Circonstance qui fit beaucoup rire alors, et que l’abbé semble tenir extrêmement à dissimuler. »

Du reste, je ne puis me refuser de transcrire ici ce qu’il dit dans cet ouvrage de la cour de l’empereur Napoléon à Dresde, parce que ces paroles font image, et donnent une juste idée de la nature des choses et des personnes en ce moment-là.

« Ô vous, y est-il dit, qui voulez vous faire une juste idée de la prépotence qu’a exercée en Europe l’empereur Napoléon, qui désirez mesurer les degrés de frayeur au fond de laquelle étaient tombés presque tous les souverains, transportez-vous en esprit à Dresde, et venez-y contempler ce prince superbe, au plus haut période de sa gloire, si voisin de sa dégradation !

« L’Empereur occupait les grands appartements du château. Il y avait mené une partie nombreuse de sa maison ; il y tenait table, et, à l’exception du premier dimanche, où le roi de Saxe donna un gala, ce fut toujours chez Napoléon que les souverains et une partie de leurs familles se réunirent, d’après les invitations adressées par le grand maréchal de son palais. Quelques particuliers y étaient admis. J’ai joui de cet honneur le jour de ma nomination à l’ambassade de Varsovie.

« Les levers de l’Empereur se tenaient, comme aux Tuileries, à neuf heures. C’est là qu’il fallait voir en quel nombre, avec quelle soumission craintive une foule de princes, confondus avec les courtisans, souvent à peine aperçus par eux, attendaient le moment de comparaître devant le nouvel arbitre de leurs destinées. »

Ce morceau et quelques autres, d’une aussi grande vérité et d’une aussi belle diction, sont étouffés sous une foule de détails pleins de déguisement et de malice. Ce sont des faits dénaturés, dit l’Empereur, des conversations mutilées ; et, s’arrêtant sur les détails de l’impératrice d’Autriche, comblée d’adulations, et sur ceux de l’empereur Alexandre, dont l’auteur vante les vertus aimables, les qualités brillantes, au détriment et en opposition de lui, Napoléon, il a conclu : « Certes, ce n’est