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son Ambassade de Varsovie, vous pouvez le lire. C’est un bien méchant ouvrage contre moi ; un vrai libelle, dans lequel il m’accable de torts, d’injures, de calomnies. Mais, soit que j’aie été bien disposé, soit qu’il n’y ait, comme on dit, que la vérité qui blesse, il n’a fait que me faire rire, il m’a vraiment amusé. »

Deux de nous avaient parfois des différends. On ne le trouve ici que parce que j’y rencontre des traits caractéristiques de l’âme et du cœur de celui à qui nous nous étions consacrés, et puis, d’ailleurs, les papiers du temps et le retour de l’un d’eux en Europe, à cause de cette circonstance, l’ont assez fait connaître.

Me rendant au salon pour y attendre le dîner, j’y ai trouvé l’Empereur qui s’exprimait avec la dernière chaleur sur ce sujet, qui le contrariait à l’excès ; cela a été fort long, très vif, fort touchant…

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« Vous m’avez suivi pour m’être agréables, dites-vous ? Soyez frères ! autrement vous ne m’êtes qu’importuns !… Vous voulez me rendre heureux ? Soyez frères ! autrement vous ne m’êtes qu’un supplice.

« Vous parlez de vous battre, et cela sous mes yeux ! Ne suis-je donc plus tout l’objet de vos soins, et l’œil de l’étranger n’est-il pas arrêté sur nous !… Je veux qu’ici chacun soit animé de mon esprit… Je veux que chacun soit heureux autour de moi ; que chacun surtout y partage le peu de jouissances qui nous sont laissées. Il n’est pas jusqu’au petit Emmanuel que voilà que je ne prétende en avoir sa part complète… »

Le dîner seul a terminé la mercuriale, et bientôt après m’a fait appeler dans sa chambre à coucher, où je suis demeuré assez tard…


Abbé de Pradt – Son ambassade à Varsovie – Guerre de Russie – Son origine.


Dimanche 28.

L’Empereur est revenu sur M. l’abbé de Pradt et sur son ouvrage ; il le réduisait à la première et à la dernière page. « Dans la première, disait-il, il se donne pour le seul homme qui ait arrêté Napoléon dans sa course ; dans la dernière, il laisse voir que l’Empereur, à son passage au retour de Moscou, le chassa de son ambassade, ce qui est vrai ; et c’est ce que son amour-propre cherche à défigurer ou à venger : voilà tout l’ouvrage.

« Mais l’abbé, continuait-il, n’avait atteint à Varsovie aucun des buts qu’on se proposait ; il avait, au contraire, fait beaucoup de mal. Les bruits contre lui étaient accourus en foule de toutes parts au-devant