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à la vieille aristocratie des cours de l’Europe on ne doit plus présenter que des éléments de cette même aristocratie ; car elle aussi est une espèce de maçonnerie : un Otto, un Andréossi entreront-ils dans les salons de Vienne, aussitôt les épanchements de l’opinion se tairont, les habitudes de mœurs cesseront ; ce sont des intrus, des profanes ; les mystères doivent être interrompus. C’est le contraire pour un Narbonne, parce qu’il y a affinité, sympathie, identité ; et telle femme de la vieille roche livrera peut-être sa personne à un plébéien, qu’elle ne lui découvrira pas les secrets de l’aristocratie. »

L’Empereur aimait beaucoup M. de Narbonne ; il s’y était fort attaché, disait-il, et le regretta vivement. Il ne l’avait fait son aide de camp que parce que Marie-Louise, ajoutait-il, par une intrigue de son entourage, l’avait refusé pour chevalier d’honneur ; poste qui était tout à fait son lot, disait Napoléon. « Jusqu’à son ambassade, répétait-il, nous avions été dupes de l’Autriche. En moins de quinze jours, M. de Narbonne eut tout pénétré, et M. de Metternich se trouva fort gêné de cette nomination. »

« Toutefois, remarquait l’Empereur, ce que peut faire la fatalité ! les succès mêmes de M. de Narbonne m’ont perdu peut-être, ses talents m’ont été du moins bien plus nuisibles qu’utiles : l’Autriche, se croyant devinée, jeta le masque et précipita ses mesures. Avec moins de pénétration de notre part, elle eût prolongé quelque temps encore ses indécisions naturelles, et durant ce temps d’autres chances pouvaient s’élever. »

Quelqu’un ayant parlé des ambassades de Dresde et de Berlin, et penchant à blâmer nos agents diplomatiques dans ces cours, lors de la crise du retour de Moscou, l’Empereur a répondu que le vice, à cet instant, n’avait point été dans les personnes, mais bien dans les choses ; que chacun avait pu prévoir d’un coup d’œil ce qui pouvait arriver, que lui n’en avait pas été la dupe d’une minute. Que s’il n’avait pas ramené l’armée lui-même à Wilna et en Allemagne, ce n’avait été que par la crainte de ne pouvoir regagner la France de sa personne. Il avait voulu remédier, disait-il, à ce péril imminent par de l’audace et de la rapidité, en traversant toute la Germanie, seul et vite. Toutefois, il s’était vu à l’instant d’être retenu en Silésie : « Mais heureusement, disait-il, les Prussiens passèrent à se consulter le moment qu’ils eussent dû employer à agir. Ils firent comme les Saxons pour Charles XII, qui disait gaiement à sa sortie de Dresde, dans une occasion semblable : Vous verrez qu’ils délibéreront demain s’ils auraient bien fait de m’arrêter aujourd’hui, etc., etc. »