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droit sacré de l’hospitalité, ils ont entaché votre nation pour jamais ! »

Le capitaine Hamilton s’étant hasardé de répondre que l’Empereur n’était pas prisonnier de l’Angleterre seule, mais de tous les alliés, l’Empereur a repris avec chaleur :

« Je ne me suis point livré à la Russie, elle m’eût bien reçu sans doute ; je ne me suis point livré à l’Autriche, j’en aurais été également bien traité ; mais je me suis livré, librement et de mon choix, à l’Angleterre, parce que je croyais à ses lois, à sa morale publique. Je me suis cruellement trompé ! Toutefois il est un ciel vengeur, et tôt ou tard vous porterez les peines d’un attentat que les hommes vous reprochent déjà !… Redites tout cela au prince régent, Monsieur. » Et accompagnant ces dernières paroles d’un geste de la main, il le congédia.

Nous avons continué de marcher quelque temps encore. Le grand maréchal, qui avait accompagné quelques pas M. Hamilton, étant revenu, nous avons cru devoir le laisser tête à tête avec l’Empereur ; mais, à peine rentré dans ma chambre, il m’a fait appeler. Il était seul dans la sienne, et m’a demandé si je ne m’étais pas assez retiré dans la journée. Je lui ai dit que le respect seul et la discrétion m’avaient ôté d’auprès de lui. À quoi il m’a répondu que c’était à tort, qu’il n’y avait rien de mystérieux ni de secret. « Et puis, a-t-il ajouté, une certaine liberté, un certain abandon, ont bien aussi leur charme. » Ces paroles, découlées négligemment de la bouche de Napoléon, peuvent servir à le peindre plus que beaucoup de pages.

Nous avons alors parcouru une publication anglaise, renfermant les pièces officielles trouvées dans le portefeuille qui lui a été enlevé à Waterloo. L’Empereur, étonné lui-même de tous les ordres qu’il donnait presque à la fois, des détails sans nombre qu’il dirigeait sur tous les points de l’empire, a dit : « Cette publication, après tout, ne saurait me faire du mal, elle fera dire à bien des gens que ce qu’elle contient n’est pas d’un homme qui dormait ; on me comparera aux légitimes, je n’y perdrai pas. »

Après le dîner, l’Empereur a causé longtemps de sujets rompus. En parlant de ses ambassadeurs, il a trouvé que M. de Narbonne était le seul qui eût bien mérité ce titre et rempli vraiment cette fonction. « Et cela, disait-il, par l’avantage personnel, non seulement de son esprit, mais bien plus encore par celui de ses mœurs d’autrefois, de ses manières, de son nom. Car, tant qu’on a qu’à prescrire, le premier venu suffit, tout est bon ; peut-être même l’aide de camp est-il préférable ; mais dès qu’on en est réduit à négocier, c’est autre chose ; alors