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vu que l’amiral en avait agi de la sorte lors de la première visite du nouveau gouverneur ; sa joie, dans cette dernière circonstance, sur le mauvais succès de sir Hudson Lowe, n’avait que trop visiblement trahi ses intentions.

Toutefois, s’il fallait, à travers notre mauvaise humeur et la délicatesse de sa mission, résumer une opinion impartiale, nous n’hésiterions pas à convenir, à la suite de tant de griefs, que ces griefs reposaient bien plus dans les formes que dans le fond, et nous dirions, avec l’Empereur, qui avait naturellement un faible pour lui, que l’amiral Cockburn est bien loin d’être un méchant homme, qu’il est même susceptible d’élans généreux et délicats, que nous en avons plusieurs fois éprouvé les effets ; mais qu’aussi, par contre, nous l’avons trouvé souvent capricieux, irascible, vain, dominateur, fort habitué à l’autorité, l’exerçant avec rudesse, mettant souvent la force à la place de la dignité. Et pour exprimer en deux mots la nature de nos rapports, nous dirions que, comme geôlier, il a été doux, humain, généreux ; nous lui devons de la reconnaissance ; mais que, comme notre hôte, il a été parfois impoli, souvent pire encore, et nous avons lieu d’en être mécontents et de nous plaindre.

En relisant ce résumé pour une nouvelle impression, je ne puis me défendre d’éprouver qu’il est peut-être plus que sévère. Serait-ce que le temps aurait dissipé l’irritation dans laquelle il fut tracé, ou bien serait-ce parce que je ne suis pas né pour de longs ressentiments, ou bien encore serait-ce enfin parce que les manières, les procédés, les actes du successeur, n’admettant de comparaison avec personne, toutes autres plaintes doivent s’effacer et disparaître au simple souvenir de ce dernier ?

Sur les deux ou trois heures, l’Empereur a fait sa promenade accoutumée ; il a beaucoup causé avec nous dans le jardin, et en calèche, sur les circonstances du matin ; et la conversation sur cet objet a repris encore après le dîner. Quelqu’un a fait observer, toutefois assez plaisamment, que les deux premiers jours du gouverneur avaient été des jours de batailles, et devaient lui faire croire que nous étions intraitables, nous qui étions naturellement si doux et si patients. À ces dernières expressions, l’Empereur n’a pu s’empêcher de sourire et de pincer l’oreille de l’observateur.

On est passé de là au signalement de sir Hudson Lowe ; on l’a trouvé un homme d’environ quarante-cinq ans, d’une taille commune, mince, maigre, sec, rouge de visage et de chevelure, marqueté de taches de rousseur, des yeux obliques fixant à la dérobée et rarement en face,