Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autres logements dans l’île, notamment celui que lui-même s’était adjugé. Il lui avait indirectement interdit la promenade à cheval dans l’enclos de Briars ; on avait abreuvé d’embarras et d’humiliations les officiers de l’Empereur, lorsqu’ils venaient le visiter journellement dans sa petite cellule.

Plus tard, à Longwood, il avait placé des sentinelles sous les fenêtres mêmes de l’Empereur ; et, par un tour d’esprit qui ne pouvait être que la plus amère des ironies, il prétendait que ce n’était que dans l’intérêt du général et pour sa propre sûreté. Il ne permettait d’arriver à nous qu’avec un billet de sa part ; et, en nous mettant ainsi au secret, il disait que c’était une attention particulière pour que l’on n’importunât pas l’Empereur, et qu’il n’était là que grand maréchal. Il donnait un bal, et envoyait une invitation par écrit au général Bonaparte, comme à chacun de ceux de sa suite. Il répondait avec un persiflage indécent aux notes du grand maréchal qui employait le mot d’Empereur, qu’il ne savait pas qu’il y eût aucun Empereur dans l’île de Sainte-Hélène, qu’il n’en connaissait aucun en Europe ou ailleurs qui fût hors de ses États. Il refusait à l’Empereur d’écrire au prince régent, à moins qu’il ne reçût la lettre ouverte, ou qu’on ne lui en donnât lecture. Il avait gêné les égards, les expressions, les sentiments d’autrui pour Napoléon ; mis aux arrêts des subordonnés, nous assurait-on, pour s’être servis de la qualification d’Empereur, ou autres expressions semblables, usitées souvent néanmoins par ceux du 53e, et sans doute, disait Napoléon, par un sentiment irrésistible de ces braves.

L’amiral avait limité, par son seul caprice, la direction de nos promenades. Il avait même, à cet égard, manqué de parole à l’Empereur ; il l’avait assuré, dans un moment de rapprochement, qu’il pouvait désormais aller dans toute l’île sans que la surveillance de l’officier anglais préposé à sa garde pût même être aperçue. Mais deux ou trois jours après, au moment où Napoléon mettait le pied à l’étrier pour aller déjeuner à l’ombre, loin de notre demeure habituelle, il eut l’insigne désagrément d’être contraint de rentrer, l’officier ayant déclaré qu’il devait désormais faire partie de son groupe et ne point le quitter d’un pas. Depuis cet instant, l’Empereur ne voulut jamais revoir l’amiral. Celui-ci, d’ailleurs, n’avait jamais observé les formes de bienséance les plus ordinaires, affectant toujours de choisir pour ses visites des heures inaccoutumées ; dirigeant dans la même voie les étrangers de distinction qui arrivaient dans l’île, pour éviter par là sans doute qu’ils ne parvinssent jusqu’à l’Empereur, qui ne manquait pas de les refuser. On a