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ports, de tant d’intrigues… Il m’est venu un homme de Vienne, avec des propositions si ridicules et cet homme je ne le trouve plus.

– Monsieur Fouché, lui dit alors l’Empereur, il pourrait être funeste pour vous que vous me prissiez pour un sot. Je tiens votre homme et toute son intrigue depuis plusieurs jours. Avez-vous envoyé à Bâle ? – Non, Sire. – Ce sera heureux pour vous ; s’il en était autrement, et j’en aurai la preuve, vous péririez. »

Les évènements ont montré que ce n’eût été que justice. Toutefois ici il paraît que Fouché n’y avait pas envoyé ; aussi l’affaire en demeura là.


Papiers d’Europe – Politique.


Samedi 13.

L’Empereur a déjeuné au jardin, et nous y a tous fait appeler. Il a résumé les papiers-nouvelles que nous avions parcourus le matin, et s’est étendu sur la haute politique. Voici ce que j’en ai retenu de plus saillant.

« Paris au 13 vendémiaire était tout à fait dégoûté de son gouvernement, disait l’Empereur ; mais la totalité des armées, la grande majorité des départements, la petite bourgeoisie, les paysans, lui demeuraient attachés ; aussi la révolution triompha-t-elle de cette grande attaque de la contre-révolution, bien qu’il n’y eût encore que quatre ou cinq ans que les nouveaux principes eussent été proclamés ; on sortait des scènes les plus effroyables et les plus calamiteuses ; on cherchait un meilleur avenir.

Mais quelle différence aujourd’hui ! L’immense majorité des Français doit avoir en horreur le gouvernement qui lui est imposé par la force, car il lui enlève sa gloire, sa fortune, ses habitudes ; il blesse son orgueil, sa doctrine, ses maximes ; il la place sous le joug de l’étranger, elle qui depuis vingt ans lui donnait des lois. Ce gouvernement, ennemi de toutes ces choses si chères à la population, n’a point d’armes ; il n’est même pas lui-même, il n’agit que par le comité de l’étranger, par ses décisions et ses volontés. Il agit sur un peuple dont presque toutes les générations sont nées dans la révolution, et se trouvent imprégnées des principes qu’on voudrait faire disparaître. Aussi qui pourrait prévoir la fin de tout ceci ? qui oserait assigner la marche future des choses ? En 1814 la nation entière a pu aller au roi ; aujourd’hui ce ne peuvent être que ses partisans seuls, et ses partisans intéressés. Alors c’était une succession paisible, aujourd’hui c’est une conquête terrible, outrageante ; s’il cherche à former une armée nationale, il faudra tout aussitôt qu’il s’en défie. Un soldat,