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qui l’occupe en ce moment ? – Sire, c’est que je viens de trouver dans un pamphlet que Votre Majesté, pour plus de sûreté, était cuirassée nuit et jour. Certains salons de Paris disaient aussi quelque chose de semblable, et en donnaient pour preuve l’embonpoint subit de Votre Majesté, qui, suivant eux, n’était pas naturel. Or, je pensais en cet instant que je pourrais témoigner, avec connaissance de cause, que cet embonpoint était très naturel et que je pourrais affirmer aussi qu’à Sainte-Hélène, du moins, Votre Majesté avait laissé toutes précautions de côté. – C’est une des mille et une bêtises qu’ils ont écrites sur mon compte. Celle-ci est d’autant plus gauche, que tous ceux qui me connaissent savent le peu de soin que je prenais de ma conservation. Accoutumé dès l’âge de dix-huit ans aux boulets des batailles, et sachant toute l’inutilité de vouloir s’en préserver, je m’abandonnais à ma destinée. Depuis, lorsque je suis arrivé à la tête des affaires, j’ai dû me croire encore au milieu des batailles, dont les conspirations étaient les boulets. J’ai continué mon même calcul ; je me suis abandonné à mon étoile, laissant à la police tout le soin des précautions. J’ai été peut-être le seul souverain de l’Europe qui n’avait point de gardes du corps. On m’abordait sans avoir à traverser une salle des gardes. Quand on avait franchi l’enceinte extérieure des sentinelles, on avait la circulation de tout mon palais. C’était un grand sujet d’étonnement pour Marie-Louise de me voir si peu de défense ; elle me disait souvent que son père était bien mieux gardé, qu’il avait des armes autour de lui, etc. Pour moi, j’étais aux Tuileries comme ici ; je ne sais seulement pas où est mon épée, la voyez-vous ?

Ce n’est pas, continuait-il, que je n’aie couru de grands dangers. Je compte trente et quelques conspirations à pièces authentiques, sans parler de celles qui sont demeurées inconnues : d’autres en inventent ; moi j’ai soigneusement caché toutes celles que j’ai pu. La crise a été bien forte pour mes jours, surtout depuis Marengo jusqu’à la tentative de Georges et l’affaire du duc d’Enghien. »

Napoléon disait que, huit jours avant l’arrestation de Georges, un des plus déterminés de sa bande lui avait remis en main propre une pétition à la parade ; d’autres s’introduisirent à Saint-Cloud ou à la Malmaison parmi les gens ; enfin Georges lui-même paraît avoir été fort près de sa personne et dans un même appartement.

L’Empereur, indépendamment de son étoile, attribue son salut à certaines circonstances qui lui étaient propres. Ce qui l’avait sauvé, disait-il, c’était d’avoir vécu de fantaisie ; de n’avoir jamais eu d’habitudes