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en souffrir le moins du monde sous aucun rapport. Jamais il ne fut pour nous d’humeur plus égale, de bonté plus constante, d’affection plus habituelle. C’était précisément au milieu de nous, et tout à fait en famille, qu’il concertait ses sorties contre l’ennemi commun ; et celles qu’on trouvera les plus vigoureuses, qui paraîtront dictées par la colère, ne l’ont presque jamais été, même sans quelque rire et sans quelque gaieté.

La santé de l’Empereur, durant les six mois qui précédèrent notre établissement à Longwood, ne sembla pas éprouver la moindre altération ; pourtant c’était un régime si contraire ! Les heures, la nourriture, n’étaient plus les mêmes ; ses habitudes étaient toutes bouleversées. Lui accoutumé à tant de mouvement était demeuré renfermé tout ce temps dans une chambre. Les bains étaient devenus une partie de son existence, et il en avait été constamment privé, etc., etc. Ce ne fut qu’après être arrivé à Longwood, et lorsqu’il eut retrouvé une partie de ces objets, qu’il eut couru à cheval et repris des bains, qu’on commença à apercevoir une altération sensible.

Chose singulière ! tant qu’il avait été mal, il n’y eut point de traces de ses souffrances ; ce ne fut que dès qu’il fut mieux qu’on les vit apparaître. Ne serait-ce pas que, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, il se trouve souvent un long intervalle entre la cause et les effets ?


Journée de Longwood, etc. – Procès de Drouot – Jugements militaires – Soult – Masséna – Camarades de l’Empereur dans l’artillerie – L’Empereur croyant son nom inconnu même dans Paris.


Samedi 23 au mardi 26.

Ces matinées furent en partie d’un très mauvais temps, de ces pluies battantes qui nous permettaient à peine de mettre le nez dehors.

Quant à nos soirées, il nous importait peu le temps qu’il faisait, qu’il plût ou qu’il fît beau clair de lune ; dès que la nuit approchait, nous nous constituions littéralement nous-mêmes de vrais prisonniers. Vers les neuf heures, on nous entourait de sentinelles ; c’eût été une douleur que de les rencontrer. Ce n’est pas qu’accompagnés de l’officier anglais préposé à notre surveillance, l’Empereur et nous-mêmes n’eussions pu sortir plus tard ; mais c’eût été pour nous un supplice plutôt qu’un plaisir, et c’est ce que cet officier ne pouvait concevoir. Il laissa deviner, dans le principe, qu’il imaginait que la mauvaise humeur seule dictait cette réclusion, et qu’elle aurait bientôt une fin ; je ne sais ce qu’il aura pensé de notre constance.

L’Empereur, comme je crois l’avoir déjà dit, se mettait à table régulièrement à huit heures ; il n’y demeurait jamais une demi-heure ; parfois à peine un quart d’heure. De retour dans le salon, quand il était souffrant ou silencieux, nous avions toutes les peines du monde à atteindre neuf