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qu’il était possible de mettre en œuvre ? Ce qu’il y a de certain, n’est qu’avec l’établissement de nos Chambres et de notre constitution, les ministres d’Angleterre ont tenu dans leurs mains la gloire et la prospérité de leur patrie, les destinées et le bien-être du monde. Si j’eusse battu l’armée anglaise et gagné ma dernière bataille, j’eusse causé un grand et heureux étonnement ; le lendemain je proposais la paix, et pour le coup c’eût été moi qui aurais prodigué les avantages à pleines mains. Au lieu de cela, peut-être les Anglais seront-ils réduits à pleurer un jour d’avoir vaincu à Waterloo !!!

« Je le répète, les peuples et les rois ont eu tort ; j’avais retrempé les trônes ; j’avais retrempé la noblesse inoffensive, et les trônes et la noblesse peuvent se trouver de nouveau en péril. J’avais consacré, fixé les limites raisonnables des droits des peuples ; et les réclamations vagues, absolues et immodérées peuvent renaître.

« Mon retour et mon maintien sur le trône, mon adoption franche cette fois de la part des souverains, jugeaient définitivement la cause des rois et des peuples ; tous les deux l’avaient gagnée. Aujourd’hui on la remet en question : tous deux peuvent la perdre. On pouvait avoir tout fini, on peut avoir tout à reprendre ; on a pu se garantir un calme long et assuré, commencer à jouir ; et au lieu de cela, il peut suffire d’une étincelle pour ramener une conflagration universelle !… Pauvre et triste humanité !… »

Pénétré comme je le suis des paroles et des opinions que j’ai recueillies de Napoléon sur son roc, et bien que parfaitement persuadé et convaincu de toute leur sincérité, je n’en éprouve pas moins une jouissance indicible, lorsqu’une contre-épreuve vient m’en démontrer l’exacte vérité ; et je dois dire que je goûte ce bonheur toutes les fois que je rencontre les occasions de ces contre-épreuves.

« Je me rendis aux Tuileries peu de jours après le 20 mars, dit M. Benjamin Constant ; je trouvai Bonaparte seul. Il commença le premier la conversation : elle fut longue, je n’en donnerai qu’une analyse, car je ne me propose pas de mettre en scène un homme malheureux. Je n’amuserai point nos lecteurs aux dépens de la puissance déchue ; je ne livrerai point à la curiosité malveillante celui que j’ai servi par un motif quelconque, et je ne transcrirai de ses discours que ce qui sera indispensable ; mais, dans ce que j’en transcrirai, je rapporterai ses propres paroles.

« Il n’essaya de me tromper ni sur ses vues ni sur l’état des choses. Il ne se présenta point comme corrigé par les leçons de l’adversité ; il ne voulut point se donner le mérité de revenir à la liberté par inclination ; il examina froidement dans son intérêt, avec une impartialité trop voisine de l’indifférence ; ce qui était possible et ce qui était préférable.

La nation, me dit-il, s’est reposée douze ans de toute agitation poli-