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qu’ils avaient perdu leur pouvoir, cherchaient en dédommagement leurs jouissances. Les souverains eux-mêmes semblaient désormais soumis à cette loi : le trône, avec nos idées libérales, cessait insensiblement d’être une seigneurie, et devenait purement une magistrature ; le prince, n’ayant plus qu’une représentation morale, toujours triste et ennuyeuse à la longue, devait chercher à s’y dérober, pour venir, en simple citoyen, prendre sa part des charmes de la société. »

Parmi une grande quantité de mesures nouvelles projetées par l’Empereur pour un avenir plus tranquille, son idée favorite avait été, la paix obtenue et le repos conquis, de ne plus vivre que pour les épurations administratives et les améliorations locales ; de se voir en tournées perpétuelles dans les départements : il eût visité et non parcouru, campé et non voyagé ; il eût fait usage de ses propres chevaux, se fût entouré de l’impératrice, du roi de Rome, de toute sa cour. Toutefois il eût voulu que ce grand attirail n’eût été onéreux à personne, mais plutôt un bienfait pour tous : une tenture des Gobelins et tous les accessoires, tramés à sa suite, eussent meublé, décoré ses stations. Les autres personnes de la cour, disait-il, eussent été logées à la craie chez les bourgeois, qui eussent regardé leurs hôtes comme un bienfait plutôt qu’un fardeau, parce qu’ils eussent toujours été pour eux la certitude de quelque avantage ou de quelques faveurs. « C’est là, continuait-il, que j’eusse pu, dans chaque lieu, prévenir les fraudes, châtier les dilapidateurs ; ordonner des édifices, des ponts, des chemins ; dessécher des marais, fertiliser des terres, etc… Si le Ciel alors, continuait-il, m’eût accordé quelques années, assurément j’aurais fait de Paris la capitale de l’univers, et de toute la France un véritable roman. » Il répétait souvent ces dernières paroles : que de gens déjà auront dit cela, ou le répéteront avec lui !


Jeu d’échecs venu de la Chine – Présentation des capitaines de la flotte de la Chine.


Mercredi 6.

L’Empereur est monté à cheval à sept heures ; il m’a dit d’appeler mon fils pour nous accompagner ; c’était une grande faveur. Durant notre promenade, l’Empereur est descendu cinq ou six fois pour regarder, à l’aide d’une lunette, des vaisseaux qui étaient en vue ; il en a reconnu un pour être hollandais : les trois couleurs sont toujours pour nous un objet de sentiment et de vive émotion. Dans une de ces stations, le cheval le plus fringant de la bande s’est échappé, il a fallu le poursuivre longtemps ; mon fils a gagné ses éperons ; il l’a ramené triomphant, et l’Empereur a remarqué que dans un tournoi ce serait une victoire.