Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du temps auraient dû borner cette cérémonie au prince impérial, et seulement au temps de sa jeunesse ; car c’était l’enfant de toute la nation, il devait donc appartenir dès lors à tous les sentiments, à tous les yeux. »

Au retour de l’île d’Elbe, l’Empereur disait avoir eu la pensée de dîner chaque dimanche dans la galerie de Diane, au milieu de quatre ou cinq cents convives ; ce qui eût été sans doute, disait-il, d’un immense effet sur le public, surtout au moment du Champ de Mai, lors de la réunion des députés des départements à Paris ; mais la rapidité et l’importance des affaires l’en empêchèrent : il craignit aussi peut-être qu’on ne vit dans cette mesure une trop grande affectation de popularité, et que les ennemis du dehors ne la transformassent en crainte de sa part.

On est dans l’habitude, disait l’Empereur, de citer l’influence du ton et des manières de la cour sur celles d’une nation : il était loin d’avoir obtenu, remarquait-il, aucun résultat à ce sujet ; mais c’était le vice des circonstances et de plusieurs combinaisons inaperçues ; il y avait beaucoup réfléchi, et il pensait qu’il l’eût obtenu avec le temps.

« La cour, continuait-il, prise collectivement, n’exerce point cette influence ; ce n’est que parce que ses éléments, ceux qui la composent, vont propager, chacun dans sa sphère d’activité, ce qu’ils ont puisé à la source commune ; le ton de la cour n’arrive donc à toute une nation qu’au travers des sociétés intermédiaires. Or, nous n’avions pas de sociétés, nous ne pouvions point encore en avoir. Les sociétés, ces réunions pleines de charmes, où l’on jouit si bien des avantages de la civilisation, disparaissent subitement devant les révolutions, et ne se rétablissent qu’avec lenteur après la tempête. Les bases indispensables de la société sont l’oisiveté et le luxe ; or, nous étions encore tous dans l’agitation, et les grandes fortunes n’étaient pas encore bien établies. Un grand nombre de spectacles, une foule d’établissements publics, présentaient d’ailleurs des plaisirs plus faciles, moins gênants, plus vifs. La génération des femmes du jour était jeune ; elles aimaient mieux courir et se montrer en public que de demeurer chez elles, et se composer un cercle rétréci. Mais elles auraient vieilli, disait-il, et avec un peu de temps et de repos, toutes les choses eussent repris leur allure naturelle. Et puis encore, faisait-il observer, ce serait peut-être une erreur que de juger d’une cour moderne par le souvenir des cours anciennes : les cours anciennes étaient véritablement la puissance ; on disait la cour et la ville. Aujourd’hui, si l’on voulait parler juste, on était obligé de dire la ville et la cour. Les seigneurs féodaux, depuis