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de la tenter ; mais je m’y étais pris de loin, j’opérais sans être aperçu : j’avais dispersé tous nos vaisseaux, les Anglais étaient obligés de courir après sur les divers points du globe ; les nôtres pourtant n’avaient d’autre but que de revenir, à l’improviste et tous à la fois, se réunir en masse sur nos côtes. Je devais avoir soixante-dix ou quatre-vingts vaisseaux français ou espagnols dans la Manche : j’avais calculé que j’en demeurerais maître pendant deux mois ; j’avais trois ou quatre mille petits bâtiments qui n’attendaient que le signal ; mes cent mille hommes faisaient chaque jour la manœuvre de l’embarquement et du débarquement, comme tout autre temps de leur exercice ; ils étaient pleins d’ardeur et de bonne volonté, l’entreprise était très populaire parmi les Français, et nous étions appelés par les vœux d’une grande partie des Anglais. Mon débarquement opéré, je ne devais calculer que sur une seule bataille rangée ; l’issue n’en pouvait être douteuse ; et la victoire nous plaçait dans Londres, car le local du pays n’admettait point de guerre de chicane ; ma conduite morale eût fait le reste. Le peuple anglais gémissait sous le joug de l’oligarchie ; dès qu’il eût vu son orgueil ménagé, il eût été tout aussitôt à nous ; nous n’eussions plus été pour lui que des alliés venus pour le délivrer. Nous nous présentions avec les mots magiques de liberté et d’égalité, etc. »

Et après être revenu encore à une foule de petits détails d’exécution tous admirables, et avoir fait remarquer à combien peu il avait tenu que le tout ne s’exécutât, il s’est interrompu assez brusquement, disant : « Mais sortons, allons faire un tour. »

Et nous avons été nous promener dans le jardin. Le temps, qui avait été pluvieux depuis trois jours, s’était remis tout à fait au beau. Cependant l’Empereur, se rappelant sa résolution d’être rentré à six heures, a demandé tout de suite la calèche, pour être revenu de bonne heure. Mon fils a suivi à cheval ; c’était la première fois qu’il jouissait d’une telle faveur ; il s’est fort bien acquitté de son début : l’Empereur l’en a complimenté.

L’Empereur, continuant d’être souffrant, s’est retiré encore de fort bonne heure.


Réception de quelques officiers de la flotte de la Chine.


Lundi 4.

Aujourd’hui l’Empereur a reçu quelques capitaines de la flotte de la Chine ; il a causé fort longtemps avec eux sur la nature de leur com-