Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le grand-livre à cinquante ; elles étaient alors pour le public à cinquante-six ou cinquante-sept. »

Cette ressource, si utile pour les affaires, dans la crise où l’on se trouvait, et si satisfaisante, si flatteuse pour celui qui en était l’objet, prouve l’opinion véritable que l’on avait en Europe sur l’Empereur, et la confiance qu’il inspirait dans les affaires. Cette négociation, inconnue dans le temps, explique, ce qu’on ne comprit pas alors à Paris, les moyens financiers que l’Empereur se trouva posséder tout à coup à son retour.

L’Empereur jouissait d’une réputation singulière parmi tous les bureaucrates et les faiseurs de chiffres ; c’est qu’il s’y entendait réellement beaucoup lui-même. « Ce qui commença ma réputation, disait-il, fut que, vérifiant la balance d’une année lors du consulat, je relevai une erreur de deux millions, qui se trouvait au désavantage de la république. M. Dufresne, alors chef de la trésorerie, au demeurant parfaitement honnête, n’en voulait d’abord rien croire ; pourtant c’était une affaire de chiffres, il fallut bien en convenir. On fut plusieurs mois à la trésorerie à pouvoir découvrir l’erreur : elle se trouva enfin dans un compte du fournisseur Séguin, qui en convint aussitôt, sur la présentation des pièces, et restitua, disant qu’il s’était trompé. »

Une autre fois Napoléon, visitant la solde de la garnison de Paris, marqua un article de soixante et quelques mille francs, affectés à un détachement qu’il assura n’avoir jamais été dans la capitale. Le ministre nota cet objet, comme par complaisance, intérieurement convaincu que l’Empereur se trompait ; c’était pourtant vrai, et la somme dut être rétablie.

N.B. La première publication du Mémorial m’a fait recevoir de l’autorité la plus compétente (le ministre même du trésor) la confirmation la plus positive de l’article ci-dessus : voici les détails qui m’ont été adressés à ce sujet. Je les transcris littéralement.

« Tous les dix jours (décadi) le directeur, ensuite ministre du trésor, apportait au Premier Consul des états de la situation de toutes les parties de la finance ; ils formaient un volume de trente-cinq à quarante pages grand in-folio. C’étaient de nombreuses colonnes de chiffres, auxquelles dix commis avaient travaillé pendant plusieurs jours. Le Premier Consul, les parcourant, s’arrêtait à divers articles, demandait des explications, en donnait lui-même ; c’était une chose merveilleuse que sa promptitude à démêler, dans ces lignes pressées, ce qui était vraiment important. Un jour, dans le cours du travail, son doigt s’arrêta sur un article de soixante mille francs payés à un régi-