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leurs agents et de leur nombreuse clientèle. Au vrai, ils ne pouvaient, disait-il, jamais présenter que des sources empoisonnées et ruineuses, à la façon des juifs et des usuriers. Ils avaient déconsidéré le Directoire, et ils prétendaient bien diriger aussi le Consulat. On peut dire qu’ils composaient alors la tête de la société, qu’ils y tenaient le premier rang.

« Un des plus grands pas rétrogrades, disait l’Empereur, que je fis faire à la société vers son état et ses mœurs passés, fut de faire rentrer tout ce faux lustre dans la foule ; jamais je n’en voulus élever aucun aux honneurs. De toutes les aristocraties, celle-là me semblait la pire. » L’Empereur rend à Lebrun la justice de l’avoir affermi spécialement dans ce principe. « Ce parti m’en a toujours voulu depuis, disait Napoléon ; mais ce qu’il m’a bien moins pardonné encore, c’est l’inquisition sévère que je faisais exercer dans leurs comptes vis-à-vis du gouvernement. »

L’Empereur disait avoir fait à ce sujet un usage admirable de son Conseil d’État : il nommait une commission de quatre ou cinq de ses membres, gens intègres et capables ; ils lui faisaient leur rapport, et lui, Premier Consul ou Empereur, n’avait plus, s’il y avait lieu à poursuites, qu’à apposer au bas : Renvoyé au grand juge pour faire exécuter les lois. Arrivés à ce point, les impliqués venaient d’ordinaire à composition ; ils regorgeaient un, deux, trois, quatre millions, plutôt que de se laisser poursuivre. L’Empereur savait bien que tous ces faits étaient faussement représentés dans les cercles de la capitale, qu’ils lui créaient une foule d’ennemis, lui attiraient les reproches d’arbitraire et de tyrannie ; mais il acquittait un grand devoir vis-à-vis de la société en masse, et elle devait, pensait-il, lui tenir compte de pareilles mesures vis-à-vis ces sangsues publiques.

« Les hommes sont toujours les mêmes, disait Napoléon ; depuis Pharamond, les traitants se sont toujours conduits ainsi, et on en a toujours usé de même à leur égard ; mais à aucune époque de la monarchie, ils n’ont été attaqués avec des formes aussi légales, ni abordés avec autant d’énergie et de franchise que par moi. L’opinion des gens d’affaires eux-mêmes était bien différente de celle des salons ; ceux qui avaient de la moralité et de la droiture trouvaient même une nouvelle garantie dans cette extrême sévérité, et il s’en est vu une preuve bien remarquable au retour de l’île d’Elbe ; des maisons de Londres, d’Amsterdam, m’ont ouvert secrètement un crédit de quatre-vingts à cent millions, au simple taux de sept à huit pour cent. L’argent qu’elles déposaient au trésor à Paris, net de tout, leur était payé par des rentes