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il, a mal à propos chargé Oreste en niaiseries, et vous le chargez encore davantage. Dans la Mort de Pompée, vous ne jouez pas César en grand homme. Dans Britannicus, vous ne jouez pas Néron en tyran, etc. » Et tout le monde sait que ce grand acteur a fait en effet, depuis, de grandes corrections dans ces rôles fameux.


Les faiseurs d’affaires dans la révolution – Crédit de l’Empereur à son retour – Sa réputation dans les bureaux comme vérificateur – Ministres des finances, du Trésor – Cadastre.


Du jeudi 29 au vendredi 1er mars.

Après le travail, l’Empereur a été se promener dans le jardin. Nous sommes ensuite montés en calèche. Il faisait tout à fait nuit et pleuvait fort quand nous sommes rentrés.

Après le dîner, et pendant le café, que nous avons pris à table dans la salle à manger, la conversation est tombée sur ce qu’on appelle à Paris les gens d’affaires, les grandes fortunes acquises dans la révolution. Il n’était pas une de ces personnes dont l’Empereur ne connût le nom, la famille, les affaires et le degré de moralité.

À peine Premier Consul, il se trouva aux prises, dit-il, avec la célèbre madame Récamier. Son père avait été placé dans les postes. Napoléon, en entrant au gouvernement, avait été obligé de signer de confiance une foule de listes. Mais il eut bientôt établi une grande surveillance dans toutes les parties ; il trouva qu’une correspondance avec les chouans se faisait sous le couvert de M. Bernard, père de madame Récamier. Il fut aussitôt destitué, et courait risque d’être jugé et mis à mort. Sa fille accourut auprès du Premier Consul, et, sur ses sollicitations, le Premier Consul voulut bien faire grâce du procès ; mais il fut inébranlable sur le reste : et madame Récamier, habituée à tout obtenir, ne prétendait à rien moins qu’à la réintégration de son père. Telles étaient les mœurs du temps. Cette sévérité de la part du Premier Consul fit jeter les hauts cris ; on n’y était pas accoutumé. Madame Récamier et ses partisans, qui étaient fort nombreux, ne le lui pardonnèrent jamais.

Les fournisseurs et les faiseurs d’affaires étaient ceux surtout qui tenaient le plus au cœur du nouveau magistrat suprême, qui appelait cette classe le fléau, la lèpre d’une nation. L’Empereur faisait l’observation que la France entière n’aurait pas suffi alors à ceux de Paris ; qu’à son arrivée à la tête des affaires, ils composaient une véritable puissance, et qu’ils étaient des plus dangereux pour l’État, dont ils obstruaient et corrompaient les ressorts par leurs intrigues, celles de