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celui-ci. Quant à M. Raynouard, il a manqué tout à fait son affaire ; il ne montre ici d’autre talent que celui de la versification, tout le reste est mauvais, très mauvais. Sa conception, ses détails, son résultat, sont manqués ; il viole la vérité de l’histoire. Ses caractères sont faux ; sa politique est dangereuse et peut être nuisible. Cette circonstance me confirme, ce que du reste chacun sait très bien, qu’il est une énorme différence entre la lecture et la représentation d’une pièce. J’avais cru d’abord que celle-ci pouvait passer ; ce n’est que ce soir que j’en ai vu les inconvénients. Les éloges prodigués aux Bourbons sont les moindres ; les diatribes contre les révolutionnaires sont bien pires. M. Raynouard a été faire du chef des Seize le capucin Chabot de la Convention. Il y a dans sa pièce pour tous les partis, pour toutes les passions. Si je la laissais donner dans Paris, on pourrait venir m’apprendre que cinquante personnes se sont égorgées dans le parterre. De plus, l’auteur a fait de Henri IV un vrai Philinte, et du duc de Guise un Figaro, ce qui est trop choquant en histoire. Le duc de Guise était un des plus grands personnages de son temps, avec des qualités et des talents supérieurs, et auquel il ne manqua que d’oser pour commencer dès lors la quatrième dynastie ; de plus, c’est un parent de l’impératrice, un prince de la maison d’Autriche avec qui nous sommes en amitié, dont l’ambassadeur était présent ce soir à la représentation. L’auteur a plus d’une fois étrangement méconnu toutes les convenances. » Et l’Empereur disait ensuite se raffermir plus que jamais dans la détermination qu’il avait prise de ne pas laisser jouer une tragédie nouvelle sur le théâtre public avant qu’elle n’eût été mise à l’épreuve sur le théâtre de la cour. Il fit donc interdire la représentation des États de Blois. Mais ce qui est bien digne de remarque, c’est que, sous le roi, cette pièce a reparu solennellement avec toute la faveur que devait lui donner la proscription de l’Empereur, et qu’elle est tombée néanmoins, tant avait été juste le jugement que Napoléon en avait porté.

Talma, le célèbre tragique, parvenait très souvent jusqu’à l’Empereur, qui faisait grand cas de son talent et le récompensait magnifiquement. Quand le Premier Consul devint Empereur, les bruits de Paris furent qu’il faisait venir Talma pour prendre des leçons d’attitude et de costume. L’Empereur, qui n’ignorait jamais rien de ce qui se disait contre lui, en plaisantait un jour Talma. Celui-ci en demeurait déconcerté, confondu. « Vous avez tort, lui disait l’Empereur ; je n’aurais sans doute eu rien de mieux à faire, si toutefois j’en avais eu le temps. » Et alors c’était lui qui donnait à Talma des leçons sur son art : « Racine, lui disait-