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l’arrêter, et qui, l’ayant manqué, s’écriait : Ah ! malheureux, tu échappes à ma clémence !

Quelle horreur ! a repris l’un de nous. Quoi ! en dépit de la bonté héréditaire des Bourbons ! – « Oh ! oui, a continué l’Empereur, la bonté proverbiale des Bourbons ! c’est cela ! Et pourtant quel n’est pas l’empire des mots une fois reçus ! Un historien, dans sa niaiserie, aura hasardé cette phrase qui se présente bien ; d’autres la répéteront par adulation, et voilà la multitude saisie d’un mot qui remplira toutes les bouches, même au milieu des faits les plus contraires. En voici des preuves en foule : C’est Henri IV, sans contredit le meilleur d’entre eux, offrant la vie au maréchal de Biron, son compagnon d’armes, son ami de cœur, si seulement il veut convenir de sa faute ; et qui le laisse froidement exécuter, parce que celui-ci s’avise de faire l’entêté. C’est Louis XIII qui, au moment de l’exécution de son favori, immolé par un ministre implacable, dit en regardant sa montre : Le cher ami passe en cet instant un mauvais quart d’heure. C’est Louis XIV à qui, partant pour la chasse, on annonce la mort inévitable et prochaine de sa maîtresse du jour, âgée de dix-huit ans, et qui se contente de dire pour tous regrets : Elle sera morte bien jeune ! C’est le Régent qui, durant l’agonie du cardinal Dubois, le compagnon de ses débauches, le confident de ses pensées, son premier ministre, s’apercevant d’un orage, dit : Voilà qui va me délivrer de mon drôle, et qui, à l’instant où il vient d’expirer, écrit à l’un de ses roués exilé par le défunt : Arrive, je t’attends ce soir à souper ; aussi bien morte la bête, mort le venin ! C’est Louis XV qui, perdant la maîtresse, l’amie, la confidente de vingt ans, dit à ses familiers, parce qu’il pleuvait beaucoup pendant son convoi : La marquise a là un bien mauvais temps pour son voyage. Enfin cent autres choses de la sorte, on n’en finirait pas. Et cependant l’adage d’aller toujours son train ; et voilà l’histoire pour les innombrables gens futiles et sans réflexion ! »


Retour de l’île d’Elbe – Détails, etc..


Samedi 24.

Après dîner, l’Empereur, prenant le café, disait que c’était à peu près vers ce temps que, l’année dernière, il avait quitté l’Île d’Elbe. Le grand maréchal lui a dit que c’était le 26 février et un dimanche. « À telles enseignes, Sire, que vous avez fait avancer la messe pour avoir plus de temps à dicter des ordres. »

L’après-midi même on était parti. Le lendemain matin, nous étions