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savais assez d’anglais pour être à même de lui donner bien des éclaircissements sur ce qui se disait autour de nous.

J’avais été marin, et je donnais à l’Empereur toutes les explications qu’il désirait sur les manœuvres du vaisseau, l’état des vents et de la mer.

J’avais été dix ans en Angleterre ; j’y avais pris des idées arrêtées sur les lois, les mœurs, les usages du pays ; je pouvais répondre pertinemment à toutes les questions que l’Empereur daignait m’adresser sur ces objets.

Enfin mon Atlas historique me laissait une foule d’époques, de dates et de rapprochements sur lesquels il me trouvait toujours prêt.

En même temps j’employai les loisirs de notre navigation au résumé qui suit, touchant notre situation à Rochefort et les motifs qui avaient dicté la détermination de l’Empereur. J’obtenais désormais des données exactes et authentiques. Les voici :


RÉSUMÉ[1].

La croisière anglaise n’était pas forte : deux corvettes étaient devant Bordeaux, elles y bloquaient une corvette française, et donnaient la chasse à des Américains qui sortaient tous les jours en grand nombre. À l’île d’Aix nous avions deux frégates bien armées ; la corvette le Vulcain, de premier échantillon, était au fond de la rade ; enfin un gros brick ; tout cela était bloqué par un vaisseau de soixante-quatorze, des plus petits de la marine anglaise, et par une ou deux mauvaises corvettes. Il est hors de doute qu’en courant risque de sacrifier un ou deux bâtiments, on serait passé ; mais le capitaine commandant était faible, il refusa de sortir ; le second, tout à fait déterminé, l’eût tenté : probablement le commandant avait reçu des instructions de Fouché, qui déjà trahissait ouvertement, et voulait livrer l’Empereur. Quoi qu’il en soit, il n’y avait rien à attendre du côté de la mer ; l’Empereur alors débarqua à l’île d’Aix.

Si cette mission eût été confiée à l’amiral Verhuel, disait l’Empereur, ainsi qu’on le lui avait promis lors de son départ de Paris, il est probable qu’il eût passé. Les équipages des deux frégates étaient pleins d’attachement et d’enthousiasme.

La garnison de l’île d’Aix était composée de quinze cents marins, formant un très beau régiment ; les officiers, indignés de ce que les frégates ne voulaient pas sortir, proposèrent d’armer deux chasse-marée du port de quinze tonneaux chacun ; les jeunes aspirants voulurent en

  1. Ce résumé est la dictée même de Napoléon.