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pour y juger de l’effet de cette nouvelle, et suivre les développements et la couleur qu’on y donnerait.

La Convention était dans la plus grande agitation. Les représentants auprès de l’armée, pour se disculper, se hâtèrent d’accuser Menou. On attribua à la trahison ce qui n’était dû qu’à la malhabileté. Il fut mis en arrestation.

Alors différents représentants se montrèrent successivement à la tribune ; ils peignirent l’étendue du danger : les nouvelles qui, à chaque instant, arrivaient des sections, ne faisaient voir que trop combien il était grand. Chacun des membres proposa le général qui avait sa confiance. Ceux qui avaient été à Toulon, à l’armée d’Italie, et les membres du comité de salut public qui avaient des relations journalières avec Napoléon, le proposèrent comme plus capable que personne de les tirer de ce pas dangereux par la promptitude de son coup d’œil et l’énergie de son caractère. On l’envoya chercher dans la ville.

Napoléon, qui avait tout entendu et savait ce dont il était question, délibéra près d’une demi-heure avec lui-même sur ce qu’il avait à faire. Une guerre à mort éclatait entre la Convention et Paris. Était-il sage de se déclarer, de parler au nom de toute la France ? Qui oserait descendre seul dans l’arène pour se faire le champion de la Convention ? La victoire même aurait quelque chose d’odieux, tandis que la défaite vouerait pour jamais à l’exécration des races futures.

Comment se dévouer ainsi à être le bouc émissaire de tant de crimes auxquels on fut étranger ! Pourquoi s’exposer bénévolement à aller grossir en peu d’heures le nombre de ces noms qu’on ne prononce qu’avec horreur ?

Mais, d’un autre côté, si la Convention succombe, que deviennent les grandes vérités de notre révolution ? Nos nombreuses victoires, notre sang si souvent versé, ne sont plus que des actions honteuses. L’étranger, que nous avons tant vaincu, triomphe et nous accable de son mépris… Un entourage insolent et dénaturé reparaît triomphant avec lui ; il nous reproche nos crimes, exerce sa vengeance, et nous gouverne en ilotes par la main de cet étranger.

Ainsi la défaite de la Convention ceindrait le front de l’étranger, et scellerait la honte et l’esclavage de la patrie.

« Ce sentiment, vingt-cinq ans, la confiance en ses forces, sa destinée !… » Il se décida, et se rendit au comité, auquel il peignit vivement l’impossibilité de pouvoir diriger une opération aussi importante avec trois représentants qui, dans le fait, exerçaient tous les pouvoirs et gênaient toutes