Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Kirchner était officier du génie, très distingué, beau-frère du maréchal Lannes, qui l’avait choisi sur son courage et sa capacité.

Duroc influait plus qu’on ne pense sur les déterminations de l’Empereur ; sa mort a peut-être été, sous ce rapport, une calamité nationale. On a des raisons de croire que s’il eût vécu, l’armistice de Dresde, qui nous a perdus, n’aurait pas eu lieu ; on eût poussé jusqu’à l’Oder et au-delà : alors les ennemis eussent accédé dès cet instant à la paix, et nous eussions échappé à leurs machinations, à leurs intrigues, et surtout à la longue, basse et atroce perfidie du cabinet autrichien qui nous a perdus.

Plus tard, Duroc eût encore influé sur d’autres grands évènements, et fait prendre sans doute une autre face aux affaires. Enfin, plus tard encore, lors de la chute de Napoléon, Duroc n’eût certainement pas séparé ses destinées de celles de l’Empereur. Duroc se fût trouvé avec nous à Sainte-Hélène, et ce seul secours eût suffi peut-être pour contrebalancer en Napoléon tous les horribles tourments dont on prétendit l’abreuver.

Bessières, du département du Lot, fut jeté par la révolution dans la carrière des armes : il débuta par être simple soldat dans la garde constitutionnelle de Louis XVI. Devenu plus tard officier de chasseurs, des actes d’une bravoure personnelle extraordinaire attirèrent l’attention du général en chef de l’armée d’Italie qui, lorsqu’il créa ses guides, choisit Bessières pour les commander. Voilà les commencements de Bessières et l’origine de sa fortune. À compter de cet instant, on le retrouve, toujours à la tête de la garde du Consul ou de la garde impériale, dans des charges de réserve décidant la victoire ou recueillant ses fruits. Son nom se rattache noblement à toutes nos belles batailles.

Bessières grandit avec l’homme qui l’avait distingué, et reçut une part abondante des faveurs que répandit l’Empereur : il fut fait maréchal de l’empire, duc d’Istrie, colonel de la cavalerie de la garde, etc., etc.

Ses qualités, se développant avec les circonstances, le montrèrent toujours à la hauteur de sa fortune : on vit Bessières constamment bon, humain, généreux ; d’une loyauté, d’une droiture antiques ; soldat, homme de bien et citoyen honnête homme. Il employa souvent sa haute faveur à des services et à des obligeances spéciales, même en dépit d’opinions contraires. Je connais des gens qui, s’ils veulent être reconnaissants, le répéteront avec moi, et pourront certifier en lui des sentiments bien noblement hauts.

Bessières était adoré de la garde, au milieu de laquelle il passait sa vie. À la bataille de Wagram, un boulet le renversa de son cheval sans lui causer d’autre dommage. Ce fut un cri de douleur dans toute la garde ; aussi Napoléon lui dit-il, en le retrouvant : « Bessières, le boulet qui vous a frappé