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davantage, et l’on pourrait même dire qu’ils ne s’étaient plus quittés. J’ai dit ailleurs avoir entendu de l’Empereur que, dans toute sa carrière, Duroc seul avait possédé sa confiance aveugle et reçu tous ses épanchements. Duroc n’était pas brillant, mais il avait un excellent jugement, et rendait des services essentiels que sa modestie et leur nature laissaient peu connaître.

Duroc aimait l’Empereur pour lui-même ; c’était à l’homme privé surtout qu’il portait son dévouement bien plus qu’au monarque. En recevant et accueillant les sensations intimes du prince, il avait acquis le secret, peut-être le droit de les adoucir et de les diriger : combien de fois n’a-t-il pas dit à l’oreille de gens consternés par la colère de l’Empereur : « Laissez-le aller ; il dit ce qu’il sent, non ce qu’il pense ni ce qu’il fera demain. » Quel serviteur ! quel ami ! quel trésor que celui-là ! Que d’éclats il a arrêtés ! que d’ordres reçus dans le premier mouvement, qu’il n’a pas exécutés, sachant qu’on lui en saurait gré le lendemain ! L’Empereur s’était fait à cette espèce d’arrangement tacite, et ne s’en abandonnait que davantage à cette explosion qu’arrache parfois la nature, et qui soulage par son épanchement.

Duroc périt de la manière la plus malheureuse, dans un moment bien critique, et sa mort fut encore une des fatalités de la carrière de Napoléon.

Le lendemain de la bataille de Wurchen, sur le soir, le léger combat de Reichenbach venait de finir ; tous les coups avaient cessé. Duroc, du haut d’une éminence, et causant avec le général Kirchner, observait à l’écart la retraite des derniers rangs ennemis. Une pièce fut ajustée sur ce groupe doré, et le fatal boulet fit périr les deux généraux. Le général