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reposais déjà, que la sienne commençait. Le hasard seul ou quelque accident ont pu me le faire connaître. Duroc était pur et moral, tout à fait désintéressé pour recevoir, extrêmement généreux pour donner. »

L’Empereur disait qu’en ouvrant la campagne de Dresde, il avait perdu deux hommes bien précieux, et cela, remarquait-il, le plus bêtement du monde : c’étaient Bessières et Duroc. Il affectait en ce moment d’en parler avec un stoïcisme qu’on s’apercevait bien n’être pas naturel. Quand il alla voir Duroc, après son coup mortel, il essaya de lui donner quelques espérances ; mais Duroc, qui ne s’abusait pas, ne lui répondit qu’en le suppliant de lui faire donner de l’opium. L’Empereur, trop affecté, ne put prendre sur lui de rester longtemps, et se déroba à ce déchirant spectacle. Alors l’un de nous lui a rappelé que, revenu d’auprès de Duroc, il se mit à se promener seul devant sa tente ; personne n’osait l’aborder. Cependant on avait des mesures essentielles à prendre pour le lendemain ; on se hasarda donc à venir lui demander où il fallait placer la batterie de la garde. À demain tout, fut la réponse de l’Empereur. À ce ressouvenir, l’Empereur avec affectation a parlé brusquement d’autre chose.

Duroc fut une de ces personnes dont on ne connaît le prix qu’après l’avoir perdue : telle a été, après sa mort, la phrase de la cour et de la ville, tel a été le sentiment unanime partout.

Duroc était natif de Nancy, département de la Meurthe. On doit avoir lu plus haut l’origine de sa fortune : Napoléon l’avait trouvé au siège de Toulon, et s’y intéressa tout d’abord. Depuis il s’y était attaché chaque jour