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goûté sans doute, disait-il, que de se dévouer à réduire ainsi avec goût et discernement, les principaux ouvrages de notre langue. Je ne connais guère que Montesquieu, disait-il, qui pût échapper à ces réductions. » Il parcourait souvent Rollin, et le trouvait diffus et trop bonhomme. Crévier, son continuateur, lui semblait détestable. Il se plaignait de nos matériaux classiques et du temps que de si mauvais livres faisaient perdre à la jeunesse. C’est qu’ils étaient composés par des rhéteurs, de simples professeurs, et que ces sujets immortels, la base de nos connaissances dans la vie, eussent dû être, disait-il, présentés, écrits et rédigés par des hommes d’État et des hommes du monde. Napoléon avait à ce sujet des idées très heureuses ; le temps seul lui avait manqué pour les faire exécuter.

L’Empereur était encore moins satisfait de nos histoires de France ; il n’en pouvait lire aucune : Velly était plein de mots, et vide de choses ; ses continuateurs étaient encore pires. « Notre histoire, disait-il, devait être en quatre ou cinq volumes ou en cent. » Il avait connu Garnier, le continuateur de Velly et de Villaret ; il demeurait tout près de la Malmaison. C’était un bon vieillard octogénaire qui occupait un entresol sur le chemin, avec une petite galerie. Frappé de l’empressement affectueux que témoignait ce bon vieillard toutes les fois que passait le Premier Consul, celui-ci s’informa qui ce pouvait être. Apprenant que c’était Garnier, il expliqua son empressement. « Il pensait, sans doute, disait gaiement Napoléon, qu’à titre d’historien, le Premier Consul était de son domaine ; mais il devait s’étonner de retrouver des consuls où il était habitué à voir des rois. » Et c’est ce que lui dit en riant le Premier Consul, qui le fit appeler un jour et lui donna une forte pension. « Le bonhomme, ajoutait l’Empereur, dans sa reconnaissance, eût écrit depuis cet instant volontiers et du fond de son cœur tout ce qu’on eût voulu. »


Difficulté vaincue – Dangers personnels de l’Empereur à Eylau, à Iéna, etc. – Troupes russes, autrichiennes, prussiennes – Jeune Guibert – Corbineau – Maréchal Lannes – Bessières – Duroc.


Samedi 27.

Sur les cinq heures, l’Empereur est sorti en calèche ; la soirée était fort belle, nous allions fort vite, et l’espace à parcourir est fort court. L’Empereur a fait ralentir dans l’intention de l’allonger. Comme nous rentrions, jetant les yeux sur le camp, dont nous n’étions séparés que par le ravin, il a demandé pourquoi on ne franchissait pas cet espace, qui doublerait notre promenade. On a répondu que c’était impossible, et