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que c’était un fait des plus avérés, bien qu’en opposition directe aux préjugés encore existants de l’Europe, et même de la France. Il a ajouté de plus qu’il en était de même du pastel, substitut de l’indigo, et ainsi de presque tous les objets coloniaux, à l’exception du bois de teinture. Ce qui le portait à conclure que si la découverte de la boussole avait produit une révolution dans le commerce, les progrès de la chimie étaient appelés à en produire la contre-révolution.

On a parlé ensuite des émigrations nombreuses actuelles des ouvriers de France et d’Angleterre en Amérique. L’Empereur remarquait que ce pays privilégié s’enrichissait de nos folies. Le gouverneur a souri, disant que celles de l’Angleterre se trouvaient en tête du catalogue, par les nombreuses fautes ministérielles qui avaient amené la révolte de ces colonies et leur émancipation. À cela l’Empereur faisait observer que cette émancipation, au surplus, avait dû être inévitable ; que quand les enfants sont devenus aussi grands que leurs pères, il est difficile qu’ils obéissent longtemps.

Alors la conversation a conduit naturellement aux Indes ; le gouverneur y a demeuré nombre d’années, il y occupait de hauts emplois, il y a fait de grandes recherches, il a pu répondre à une foule de questions de l’Empereur sur les lois, les mœurs, les usages des Indous, l’administration des Anglais, la nature et la confection des lois actuelles, etc., etc.

Les Anglais, aux Indes, sont régis par les lois d’Angleterre ; les indigènes, par les lois locales faites par les divers conseils, agents de la compagnie, qui ont pour règle fondamentale de se rapprocher le plus possible des lois mêmes de ces peuples.

Hyder Aly était un homme de génie ; Tippoo, son fils, n’était qu’un présomptueux, fort ignorant et très inconsidéré. Hyder Aly avait eu jusqu’au-delà de cent mille hommes ; Tippoo n’en avait guère jamais compté que cinquante mille. Ces peuples ne manquent pas de courage ; mais ils n’ont pas nos forces physiques ; ils sont sans discipline et sans tactique. Dix-sept mille hommes de troupes anglaises, dont quatre mille Européens seulement, avaient suffi pour détruire cet empire de Mysore. Cependant il était à croire que tôt ou tard l’esprit national affranchirait ces contrées du joug britannique : le mélange du sang européen avec celui des indigènes créait une race mixte, dont le nombre et la nature préparaient certainement de loin une grande révolution. Toutefois aujourd’hui ces peuples étaient certainement plus heureux qu’avant la domination anglaise : l’administration d’une exacte justice et la douceur du gouvernement étaient quant à présent, les plus fortes garanties de la métropole. On