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figure réjouie rendait partie grotesque, partie sentimentale. Cependant il était difficile d’exprimer avec plus de vérité l’admiration, le respect, les vœux et la sympathie : de grosses larmes commençaient à rouler dans ses yeux. « Dites à ce cher homme que je ne lui veux pas de mal, me disait-il, que je lui souhaite bien du bonheur. Nous sommes beaucoup comme cela : il faut qu’il se porte bien et longtemps. » Il avait à la main un bouquet de fleurs champêtres. Il indiquait la pensée de vouloir les offrir ; mais, distrait ou retenu par ce qu’il voyait ou ce qu’il éprouvait, chancelant et comme combattu en lui-même, il nous fit subitement un salut brusque, et disparut.

L’Empereur ne put s’empêcher de se montrer sensible à ces deux circonstances, tant la figure, l’accent, le geste de ces hommes portaient le caractère de la vérité. Il disait alors : « Ce que c’est pourtant que le pouvoir de l’imagination ! tout ce qu’elle peut sur les hommes ! Voilà des gens qui ne me connaissaient point, qui ne m’avaient jamais vu, seulement ils avaient entendu parler de moi : et que ne se sentent-ils pas, que ne feraient-ils pas en ma faveur ! Et la même bizarrerie se renouvelle dans tous les pays, dans tous les âges, dans tous les sexes ? Voilà le fanatisme ! oui, l’imagination gouverne le monde ! »