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Plantation-House est le lieu le mieux situé et le plus agréable de l’île ; le château, le jardin et les dépendances rappellent les demeures, dans nos provinces, des familles de vingt-cinq à trente mille livres de rente. Cet endroit est bien soigné et tenu avec goût : enfermé dans l’enceinte de Plantation-House, on pourrait se croire en Europe, et ne pas soupçonner les lieux de désolation qui composent la plus grande partie du reste de l’île. Le maître de la maison en ce moment, le colonel Wilks, le gouverneur pour la compagnie que l’amiral était venu déplacer, est un homme du meilleur ton, fort agréable ; sa femme est bonne et aimable ; sa fille, charmante.

Le gouverneur avait réuni une trentaine de personnes : les manières, les expressions, les formes, tout y était européen. Nous y avons passé quelques heures qui ont été les seules d’oubli et de distraction que j’aie éprouvées depuis notre sortie de France. Le colonel Wilks me montrait une partialité et une bienveillance toutes particulières ; nous en étions aux compliments et à la sympathie de deux auteurs qui s’encensent réciproquement. Nous avons fait échange de nos productions : il comblait M. Le Sage de choses flatteuses, et celles que je lui rendais étaient des plus sincères ; car son ouvrage renferme des points intéressants et nouveaux sur l’Indostan, qu’il a habité longtemps en mission diplomatique : une douce philosophie, beaucoup d’instruction et un style fort pur, concourent à en faire un livre distingué. M. Wilks, dans ses opinions politiques, est, du reste, un homme très froid, qui juge avec calme et sans passion des affaires du moment, qui conserve les idées saines, les principes libéraux d’un Anglais sage et indépendant.

Au moment de nous mettre à table, à notre grande surprise, on nous a annoncé que l’Empereur venait de passer avec l’amiral presque à la porte de Plantation-House ; et un des convives (M. Doveton de Sandy-Bay) nous dit alors avoir eu la bonne fortune de le posséder ce matin même chez lui pendant trois quarts d’heure.


Vie de Longwood – Course à cheval de l’Empereur – Notre nymphe – Sobriquets – Des îles, de leur défense – Grandes forteresses – Gibraltar – Culture et lois de l’île – Enthousiasme, etc..


Jeudi 4 au lundi 8.

Quand je suis entré chez l’Empereur pour lui rendre compte de notre excursion de la veille, il m’a dit, en me saisissant l’oreille : « Eh bien ! vous m’avez abandonné hier, j’ai pourtant bien fini ma soirée. N’allez pas croire que je ne saurais me passer de vous. » Paroles charmantes, que le ton qui les accompagnait et la connaissance que j’avais de lui désormais me rendaient délicieuses.

Tous les jours le temps a été beau, la température sèche, la chaleur forte,