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Après son déjeuner, l’Empereur est rentré dans son intérieur, et je l’ai suivi pour finir les papiers-nouvelles. Il y avait longtemps que je lisais ; M. de Montholon a fait demander à être introduit ; il venait de causer longuement avec l’amiral, qui désirait beaucoup voir l’Empereur. L’Empereur a interrompu ma traduction, s’est promené quelque temps comme s’il eût hésité ; puis, prenant son chapeau, il a gagné le salon pour y recevoir l’amiral. J’en ai eu une vive joie ; s’il était possible que notre état d’hostilité cessât, j’étais sûr que deux minutes de lui aplaniraient plus de difficultés que deux journées entières d’aucun de nous. En effet, j’ai compris que ses arguments, sa logique, sa bonhomie avaient tout entraîne. On m’a assuré que l’amiral était sorti enchanté. Pour l’Empereur, il était fort content ; il est loin de haïr l’amiral, il a même peut-être un faible pour lui. « Vous pouvez être un très habile homme de mer, doit-il lui avoir dit ; mais vous n’entendez rien à notre situation. Nous ne vous demandons rien ; nous pouvons nous nourrir à l’écart de nos peines et de nos privations, nous suffire à nous-mêmes ; mais notre estime vaut bien qu’on s’en mette en peine. » L’amiral s’est rejeté sur ses instructions. « Mais ne sait-on pas, répliquait l’Empereur, l’espace immense qui existe entre la dictée des instructions et leur exécution ? Tel les ordonne de loin, qui s’y opposerait lui-même s’il devait les voir exécuter. Qui ne sait encore, continua-t-il, qu’au moindre différend, à la moindre contrariété, au premier cri de l’opinion, les ministres désavouent des instructions, ou blâment vivement de ne les avoir pas mieux interprétées ? »

L’amiral a été à merveille ; l’Empereur n’a eu qu’à se louer de lui ; toutes les aspérités se sont émoussées, on s’est entendu sur tout. Ainsi il a été convenu que l’Empereur pourrait aller désormais dans l’île ; que l’officier que les instructions attachaient à sa personne n’exercerait qu’une surveillance lointaine, qui ne pourrait blesser les regards de l’Empereur ; que les visitants arriveraient à l’Empereur, non par la permission de l’amiral, qui était le surveillant de Longwood, mais par celle du grand maréchal, qui en faisait les honneurs.

Ce jour notre petite colonie s’est accrue d’un Polonais, le capitaine Piontowsky. Il était du nombre de ceux que nous avions laissés à Plymouth. Son dévouement pour l’Empereur, sa douleur d’en être séparé, avaient vaincu les Anglais et leur avaient arraché la permission de venir le rejoindre.


Sous-gouverneur Skelton.


Dimanche 31.

Le sous-gouverneur, colonel Skelton, et sa femme, qui s’étaient tou-