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l’Empereur, le regardant de côté, disait d’une manière charmante : « N’est-ce pas bien méchant à moi, bien barbare, bien tyran, de toucher ainsi des cordes si tendres ? »

L’Empereur me demandait ensuite combien j’avais d’enfants ; quand et comment j’avais connu madame de Las Cases. Je lui répondais que madame de Las Cases était ma première connaissance dans la vie ; que notre mariage était un nœud que nous avions lié nous-mêmes dans notre enfance, et que pourtant il avait fallu la plupart des évènements de la révolution pour pouvoir l’accomplir, etc., etc.


L’Empereur souvent blessé dans ses campagnes – Cosaques – Jérusalem délivrée.


Lundi 25.

L’Empereur, qui n’avait pas été bien la veille, a continué d’être indisposé, et a fait prévenir qu’il ne pourrait pas recevoir les officiers du 53e, ainsi qu’il l’avait fixé. Vers le milieu du jour, il m’a fait appeler, et nous avons relu quelques chapitres de la campagne d’Italie. Je comparais celui de la bataille d’Arcole à un chant de l’Iliade.

Quelque temps avant l’heure du dîner, nous nous trouvions réunis autour de lui dans sa chambre ; on est venu nous dire que nous étions servis ; il nous a renvoyés ; je sortais le dernier, il m’a retenu. « Restez, m’a-t-il dit, nous dînerons ensemble ; nous sommes les vieux, laissons aller les jeunes ; nous nous tiendrons compagnie. » Puis il a voulu s’habiller, « ayant l’intention, disait-il, de passer dans le salon après son dîner. »

En faisant sa toilette, il passait sa main sur sa cuisse gauche, où se voyait un trou considérable ; il y enfonçait le doigt en me le montrant significativement, et voyant que j’ignorais ce que ce pouvait être, il m’a dit que c’était le coup de baïonnette qui avait failli lui coûter la cuisse au siège de Toulon. Marchand, qui l’habillait, s’est permis d’observer qu’on le savait bien à bord du Northumberland ; qu’un des hommes de l’équipage lui avait dit, lorsqu’on y arriva, que c’était un Anglais qui, le premier, avait blessé notre Empereur.

L’Empereur, prenant alors ce sujet, disait qu’on avait généralement admiré et prôné le rare bonheur qui le tenait comme invulnérable au milieu de tant de batailles. « Et l’on était dans l’erreur, ajoutait-il ; seulement j’avais toujours fait mystère de tous mes dangers. » Et il a raconté qu’il avait eu trois chevaux tués sous lui au siège de Toulon ; qu’il en avait eu plusieurs tués ou blessés dans ses campagnes d’Italie ; trois ou quatre au siège de Saint-Jean-d’Acre. Qu’il avait été blessé maintes fois : qu’à la bataille de Ratisbonne une balle lui avait frappé le talon ; qu’à celle d’Esling