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Mais cet homme n’y est que pour un instant ; et quel supplice sa fausse admiration ne fait-elle pas éprouver alors aux captifs condamnés à y demeurer toujours !

Depuis deux mois on n’avait pas cessé de travailler pour mettre Longwood en état de nous recevoir ; toutefois les résultats étaient bien peu de chose.

On entre à Longwood par une pièce qui venait d’être bâtie, destinée à servir tout à la fois d’antichambre et de salle à manger ; de là on passe dans une pièce attenante, dont on avait fait le salon ; on entre ensuite dans une troisième fort obscure, en travers sur celles-ci ; on l’avait désignée pour recevoir les cartes et les livres de l’Empereur : elle est devenue plus tard la salle à manger. En tournant à droite, dans cette chambre, on trouvait la porte de l’appartement de l’Empereur ; cet appartement consistait en deux très petites pièces égales, à la suite l’une de l’autre, formant son cabinet et sa chambre à coucher ; un petit corridor extérieur, en retour de ces deux pièces, lui servait de salle de bain. À l’opposite de l’appartement de l’Empereur, à l’autre extrémité du bâtiment, était le logement de madame de Montholon, de son mari et de son fils, local qui a formé depuis la bibliothèque de l’Empereur. En dehors de tout cela, et au travers d’issues informes, une petite pièce carrée, au rez-de-chaussée, contiguë à la cuisine, fut ma demeure. Au travers d’une trappe pratiquée au plancher, et à l’aide d’une échelle de vaisseau, on arrivait au gîte de mon fils, véritable grenier qui ne renfermait guère que la place de son lit. Nos fenêtres et nos lits demeuraient sans rideaux ; le peu de meubles de nos chambres provenait évidemment de ce dont les habitants s’étaient défaits dans cette circonstance ; heureux, sans doute, de trouver cette occasion de les placer à profit pour les renouveler ensuite avec avantage.

Le grand maréchal, sa femme et ses enfants avaient été laissés à deux milles en arrière de nous, dans un abri tel que dans le pays même il porte le nom de Hutte (Hut’s-gate).

Le général Gourgaud fut mis sous une tente, ainsi que le médecin[1] et l’officier préposé à notre garde, en attendant que l’on eût achevé leurs chambres, que construisaient à la hâte les matelots du Northumberland.

En face de nous, et séparé par un ravin assez profond, était campé,

  1. Ce médecin était le docteur O’Méara du Northumberland, qui, voyant Napoléon partir pour Sainte-Hélène sans médecin, s’offrit généreusement, aux grands applaudissements de tous les siens, et à la vive reconnaissance de nous tous. Les ministres anglais seuls semblent s’en être irrités : tout le monde sait les outrages, les injustices révoltantes, les persécutions que leur froide et barbare furie ont accumulés plus tard sur la tête de ce digne Anglais, qui n’avait fait pourtant qu’honorer l’humanité, son pays et son cœur.