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conduit à une circonstance toute particulière, dont le résultat pouvait être d’une grande importance. Il m’en a demandé mon avis, et m’a chargé de lui en présenter le lendemain mes idées…


Description de Longwood, etc. – Détail des appartements.


Lundi 11 au jeudi 14.

Enfin se déroulait pour nous une portion nouvelle de notre existence sur le malheureux rocher de Sainte-Hélène. On venait de nous établir dans nos futures demeures, et de nous assigner les limites de notre sauvage prison.

Longwood, dans le principe, simple ferme de la compagnie, abandonné au sous-gouverneur pour lui tenir lieu de maison de campagne, se trouve dans une des parties les plus élevées de l’île. Le thermomètre anglais marque dix degrés de différence en moins avec la vallée où nous avions débarqué. C’est un plateau assez étendu sur la côte orientale, et assez près du rivage. Des vents éternels, parfois violents et toujours de la même partie, en balayent constamment la surface ; des nuages le couvrent presque toujours ; le soleil, qui y paraît rarement, n’en a pourtant pas moins d’influence sur l’atmosphère : il attaque le foie, si on ne s’en préserve avec soin. Des pluies abondantes et soudaines achèvent d’empêcher qu’on ne distingue ici aucune saison régulière ; il n’en est point à Longwood, ce n’est qu’une continuité de vents, de nuages, d’humidité ; toujours une température modérée et monotone qui présente, du reste, peut-être plus d’ennui que d’insalubrité. L’herbe, en dépit des fortes pluies, disparaît rongée par le vent ou flétrie par la chaleur ; l’eau y est amenée par un conduit, et se trouve si malsaine que le sous-gouverneur, que nous avons remplacé, n’en faisait usage, pour lui ou pour ses gens, qu’après l’avoir fait bouillir : nous avons été contraints d’en faire autant nous-mêmes. Les arbres qu’on y voit, et qui de loin lui prêtent un aspect riant, ne sont que des arbres à gomme, arbuste chétif et bâtard qui ne donne point d’ombre. Une partie de l’horizon présente au loin l’immense mer ; le reste n’offre plus que d’énormes rochers stériles, des abîmes profonds, des vallées déchirées, et au loin la chaîne nuageuse et verdie du Pic-de-Diane. En résumé, l’aspect de Longwood ne saurait être agréable qu’au voyageur fatigué d’une longue navigation, pour qui toute terre a des charmes. S’il s’y trouve transporté par un beau jour, frappé des objets bizarres qui s’offrent soudainement à sa vue, il peut s’écrier même : Que c’est beau !