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sins, des neveux, des frères, quelques parents, propres à imiter facilement celui qui une fois les aurait remplacés. »

Nous lûmes dans les mêmes papiers l’extrait du Mémoire justificatif du maréchal Ney. L’Empereur le trouvait des plus pitoyables : il n’était pas propre à lui sauver la vie, il ne relevait nullement son honneur. Ses moyens étaient pâles, sans couleur, pour ne pas dire plus. Avec ce qu’il avait fait, il protestait encore de son dévouement au roi, et surtout de son éloignement pour l’Empereur. « Système absurde, disait Napoléon, que semblent avoir généralement adopté ceux qui ont paru dans ces moments mémorables, sans faire attention que je suis tellement identifié avec nos prodiges, nos monuments, nos institutions, tous nos actes nationaux, qu’on ne saurait plus m’en séparer sans faire injure à la France : sa gloire est à m’avouer ! et quelque subtilité, quelque détour, quelque mensonge qu’on emploie pour essayer de prouver le contraire, je n’en demeurerai pas moins encore tout cela aux yeux de cette nation.

« La défense politique de Ney, continuait l’Empereur, semblait toute tracée : il avait été entraîné par un mouvement général qui lui avait parti la volonté et le bien de la patrie ; il y avait obéi sans préméditation, sans trahison. Les revers avaient suivi, il se trouvait traduit devant un tribunal, il ne lui restait plus rien à répondre sur ce grand évènement. Quant à la défense de sa vie, il n’avait rien à répondre encore, si ce n’est qu’il était à l’abri derrière une capitulation sacrée qui garantissait à chacun le silence et l’oubli sur tous les actes, sur toutes les opinions politiques. Si, dans ce système, il succombait, ce serait du moins à la face des peuples, en violation des lois les plus simples ; laissant le souvenir d’un grand caractère, emportant l’intérêt des âmes généreuses, et couvrant de réprobation et d’infamie ceux qui, au mépris d’un traité solennel, l’abandonnaient sans pudeur. Mais ce rôle est peut-être au-dessus de ses forces morales, disait l’Empereur. Ney est le plus brave des hommes : là se bornent toutes ses facultés. »

Il est certain que Ney quitta Paris tout au roi ; qu’il n’a tourné qu’entraîné par ses soldats. Si alors il s’est montré ardent en sens contraire, c’est qu’il sentait qu’il avait beaucoup à se faire pardonner. Du reste, il est juste de dire qu’après son fameux ordre du jour, il écrivit à l’Empereur que ce qu’il venait de faire était principalement dans l’intérêt de la patrie ; et que ne devant pas lui être agréable, il le priait de trouver bon qu’il se retirât. L’Empereur lui fit répondre de venir, qu’il le recevrait comme le lendemain de la bataille de la Moscowa. Ney, rendu près de Napoléon, lui disait encore que, d’après ce qui était arrivé à Fontainebleau, il devait lui rester