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de l’armée ; j’avais vu d’un œil sec exécuter des mouvements qui amenaient la perte d’un grand nombre d’entre nous ; et ici je me sentais ému, j’étais remué par les cris et la douleur d’un chien !… Ce qu’il y a de bien certain, c’est qu’en ce moment j’eusse été plus traitable pour un ennemi suppliant : je concevais mieux Achille rendant le corps d’Hector aux larmes de Priam. »


Guerre – Principes – Application – Paroles sur divers généraux.


Lundi 4, mardi 5.

Mes yeux étaient devenus fort malades ; j’ai été obligé d’interrompre mon travail : ils s’en vont tout à fait ; je les aurai perdus sur la campagne d’Italie.

Depuis quelque temps la température éprouvait une variation sensible ; au demeurant, nous n’entendions plus rien aux saisons : le soleil passant dans l’année deux fois sur nos têtes, nous devions avoir, disions-nous, du moins deux étés, ou, pour mieux dire, le tout, dans nos idées accoutumées, ne ressemblait plus à rien ; car, pour achever la confusion, nous devions faire tous nos calculs désormais au rebours de l’Europe, puisque nous nous trouvions dans l’hémisphère méridional. Quoi qu’il en fût, il pleuvait souvent, l’atmosphère était très humide, il faisait plus froid. L’empereur ne sortait plus le soir ; il s’enrhumait à chaque instant, il ne reposait pas bien. Il fut obligé de cesser de manger sous la tente, et de faire servir de nouveau dans sa chambre : il s’y trouvait mieux ; mais il ne pouvait y bouger. La conversation continuait à table après qu’on avait desservi. Aujourd’hui on parla de guerre, de grands capitaines. « Le sort d’une bataille, disait l’Empereur, est le résultat d’un instant, d’une pensée : on s’approche avec des combinaisons diverses, on se mêle, on se bat un certain temps, le moment décisif se présente, une étincelle morale prononce, et la plus petite réserve accomplit. » Il a été par le de Lutzen et de Bautzen, etc., etc.

Plus tard l’Empereur a dit qu’à la campagne de Waterloo, s’il avait suivi la pensée de tourner la droite ennemie, il y eut réussi facilement ; il avait préféré de percer le centre et de séparer les deux armées. Mais tout a été fatal dans cette affaire, qu’il dit avoir pris la teinte d’une absurdité, et pourtant il devait obtenir la victoire. Jamais aucune de ses batailles n’avait présenté moins de doute à ses yeux ; il est encore à concevoir ce qui est arrivé.