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versa lui troisième ou quatrième le champ de bataille dont on n’avait pu encore enlever les morts : « C’était par un beau clair de lune et dans la solitude profonde de la nuit, disait l’Empereur ; tout à coup un chien sortant de dessous les vêtements d’un cadavre, s’élança sur nous et retourna presque aussitôt à son gîte, en poussant des cris douloureux ; il léchait tour à tour le visage de son maître, et se lançait de nouveau sur nous ; c’était tout à la fois demander du secours et rechercher la vengeance. Soit disposition du moment, continuait l’Empereur, soit le lieu, l’heure, le temps, l’acte en lui-même, ou je ne sais quoi, toujours est-il vrai que jamais rien, sur aucun de mes champs de bataille, ne me causa une impression pareille. Je m’arrêtai involontairement à contempler ce spectacle. Cet homme, me disais-je, a peut-être des amis ; il en a peut-être dans le camp, dans sa compagnie, et il gît ici abandonné de tous, excepté de son chien ! Quelle leçon la nature nous donnait par l’intermédiaire d’un animal !…

Ce qu’est l’homme ! et quel n’est pas le mystère de ses impressions ! J’avais sans émotion ordonné des batailles qui devaient décider du sort