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par Votre Majesté : il me demeura indifférent de compromettre ceux que j’avais reçus sous l’empire. Enfin l’on m’écrivit du ministère de la marine que mon brevet de capitaine de vaisseau venait d’y arriver, et il y est encore.

« L’absence de Votre Majesté fut pour moi un veuvage dont je n’avais dissimulé à personne ni les regrets ni la douleur ; aussi j’en recueillis le fruit à votre retour, dans le témoignage de ceux qui vous entouraient, et de qui j’étais à peine connu auparavant. Au premier lever de Votre Majesté, celui qui dirigeait par intérim les relations extérieures, M. d’Hauterive, sortant d’auprès de vous, me prit dans une embrasure de fenêtre pour me dire de graisser mes bottes, qu’on allait peut-être me faire faire un voyage ; il venait de me proposer, me disait-il, à Votre Majesté, ajoutant qu’il m’avait présenté comme fou, mais fou d’elle. Je désirai savoir de quel lieu il s’agissait ; c’était ce qu’il ne voulait ni ne pouvait me dire. J’ai su plus tard que c’était pour Londres.

M. Reynault de Saint-Jean-d’Angely me mit sur la liste des commissaires impériaux que Votre Majesté envoyait dans les départements. Je l’assurai que j’étais prêt à tout ; je lui fis observer seulement que, noble et émigré, il suffisait de ces deux mots prononcés par le premier venu pour m’annuler au besoin en tout temps et en tout lieu. Il trouva mon observation juste, et n’y pensa plus.

« Un sénateur, M. Rœderer, me demanda à Votre Majesté pour la préfecture de Metz, sa ville natale, sollicitant même de moi ce sacrifice, pour trois mois seulement, disait-il, afin de concilier les esprits et de mettre les choses en bon train. Enfin Decrès et le duc de Bassano me proposèrent pour conseiller d’État, et le troisième jour de son arrivée Votre Majesté en avait déjà signé le décret. »


Jeudi 23.

L’Empereur a été fort souffrant ; il est demeuré enfermé chez lui, et n’a voulu personne. Il m’a fait demander sur les neuf heures du soir ; je l’ai trouvé très abattu, fort triste ; il m’a à peine dit quelques mots, et moi je n’ai rien osé lui dire. Si sa souffrance était physique, j’avais une vive inquiétude ; si elle était morale, mon chagrin était grand de ne pouvoir employer vis-à-vis de lui toutes les ressources dont le cœur abonde pour celui qu’on aime véritablement. Il m’a renvoyé au bout d’une demi-heure.


Vendredi 24.

L’Empereur a continué d’être fort souffrant, et n’a voulu encore voir personne. Assez tard, il m’avait fait venir pour dîner avec lui. On a servi