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divers trônes et à régir diverses nations, ces enfants auraient puisé là des principes communs, des mœurs pareilles, des idées semblables. Pour mieux faciliter la fusion et l’uniformité des parties fédératives de l’empire, chacun de ces princes eût amené du dehors, avec lui, dix ou douze enfants, plus ou moins, de son âge et des premières familles de son pays ; quelle influence n’eussent-ils pas exercée chez eux au retour ! Je ne doutais pas, continuait l’Empereur, que les princes des autres dynasties étrangères à ma famille n’eussent bientôt sollicité de moi, comme une grande faveur, d’y voir admettre leurs enfants. Et quel avantage n’en serait-il pas résulté pour le bien-être des peuples composant l’association européenne ! Tous ces jeunes princes, observait Napoléon, eussent été réunis d’assez bonne heure pour contracter les liens si chers et si puissants de la première enfance, et séparés néanmoins assez tôt pour prévenir les funestes effets des passions naissantes : l’ardeur des préférences, l’ambition du succès, la jalousie de l’amour, etc. »

L’Empereur eût voulu que toute l’éducation de ces princes-rois se fut fondée sur des connaissances générales, de grandes vues, des sommaires, des résultats ; il eût voulu des connaissances plutôt que de la science, du jugement plutôt que de l’acquis ; l’application des détails plutôt que l’étude des théories ; surtout point de parties spéciales trop poursuivies ; car il estimait que la perfection ou le trop de succès dans certaines parties, soit des arts, soit des sciences, était un inconvénient dans le prince. Les peuples, disait-il, n’avaient qu’à perdre d’avoir un poète pour roi, un virtuose, un naturaliste, un chimiste, un tourneur, un serrurier, etc., etc.

Marie-Louise avouait à l’Empereur que, dans les premiers moments qu’il fut question de mariage, elle ne pouvait se défendre d’une certaine frayeur, à cause de tout le mal qu’elle avait entendu dire de Napoléon parmi les siens ; sur quoi, quand elle rappelait tout cela, ses oncles, les archiducs, qui la poussaient fort à cette union, lui répondaient : « Tout cela n’était vrai que quand il était notre ennemi ; il ne l’est plus aujourd’hui. »

« Du reste, voici, disait l’Empereur, qui donnera une idée de la bienveillance qu’on nous portait dans cette famille. Un de ces jeunes archiducs brûlait souvent de ses poupées, disant qu’il rôtissait Napoléon. Il est vrai que depuis il disait qu’il ne le rôtirait plus, qu’il l’aimait beaucoup à présent, parce qu’il donnait beaucoup d’argent à sa sœur Louise pour lui envoyer force joujoux. »

Depuis mon retour en Europe, j’ai eu plus d’une occasion de me convaincre des sentiments que cette maison a professés plus tard pour Na-