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men d’une question bien extraordinaire, celle de la suppression du Corps Législatif. La majorité fut pour l’approbation ; un seul s’éleva contre avec force, et parla longtemps et fort bien. L’Empereur, qui avait présidé avec beaucoup d’attention et de gravité, sans laisser échapper aucune parole ni indice d’opinion, termina la séance en disant : « Une question aussi grave mérite bien qu’on y pense ; nous y reviendrons. » Mais elle n’a jamais reparu.

Il eût été heureux qu’on eût agi de même lors de la suppression du Tribunat, car elle a été dans le temps et est demeurée un grand sujet de déclamation et de reproche. Pour l’Empereur, il n’y vit que la suppression d’un abus coûteux, une économie importante.

« Il est certain, prononçait-il, que le Tribunat était absolument inutile, et qu’il coûtait près d’un demi-million ; je le supprimai. Je savais bien qu’on crierait à la violation de la loi ; mais j’étais fort, j’avais la confiance entière du peuple, je me considérais comme réformateur. Ce qu’il y a de sûr, c’est que je le fis pour le bien. J’eusse dû le créer, au contraire, si j’eusse été hypocrite ou malintentionné : car qui doute qu’il n’eût adopté, sanctionné, au besoin, mes vues et mes intentions ? Mais c’est ce que je n’ai jamais recherché dans tout le cours de mon administration, jamais on ne m’a vu acheter aucune voix ni aucun parti par des promesses, de l’argent ou des places : non, jamais ! Et si j’en ai donné à des ministres, à des conseillers d’État, à des législateurs, c’est que ces choses étaient à donner, et qu’il était naturel et même juste qu’elles fussent distribuées à ceux qui travaillaient près de moi.

« De mon temps tous les corps constitués ont été purs, irréprochables, je le prononce ; ils agissaient par conviction : la malveillance et la sottise pouvaient dire le contraire ; elles avaient tort. Et si on les a condamnés, c’est parce qu’on n’a pas su ou qu’on n’a pas voulu savoir, et puis aussi à cause du mécontentement et de l’opposition du temps, et, par-dessus tout encore, à cause de cet esprit d’envie, de détraction et de moquerie qui nous est si particulièrement naturel.

« On a beaucoup accusé le Sénat ; on a beaucoup crié au servilisme, à la bassesse ; mais des déclamations ne sont pas des preuves. Qu’eût-on donc voulu du Sénat ? qu’il eût refusé des conscrits ? que les commissions de la liberté individuelle et de la presse eussent fait esclandre contre le gouvernement ? qu’il eût fait ce que plus tard, en 1813, a fait une commission du Corps Législatif ? Mais voyez où celle-ci nous a menés. Je doute qu’aujourd’hui les Français lui portent une grande