Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait attendu des propositions de nos princes ; nous nous appuyions sur ce qu’il avait été assez longtemps sans se prononcer à leur égard, ce qu’il avait fait plus tard, dans une proclamation, d’une manière accablante. Nous attribuions ce résultat à la gaucherie et à la brutalité de l’évêque d’Arras, le conseiller, le directeur suprême de nos affaires, qui, du reste, de son propre aveu, opérait les yeux fermés, se vantant de n’avoir pas lu, disait-il, une seule gazette, depuis le temps qu’elles ne contenaient que les succès ou les mensonges de ces misérables.

Au moment du consulat, quelqu’un ayant voulu lui donner l’idée de tenter quelques négociations auprès du Consul par l’intermédiaire de madame Bonaparte, il repoussa la chose avec indignation et dans les termes les plus sales et les plus orduriers ; ce qui força l’auteur de la proposition de lui dire que de telles expressions n’étaient guère épiscopales, et qu’il ne les avait certainement pas lues dans son bréviaire.

Dans le même temps, il apostropha grossièrement le duc de Choiseul, à la table même du prince, et en fut tancé tout aussi vertement ; le tout parce que le duc de Choiseul, sortant des prisons de Calais, et échappant à la mort par le bienfait du Consul, terminait les renseignements que lui demandait le prince sur Bonaparte en protestant que pour lui désormais il ne pourrait plus désavouer une reconnaissance personnelle.

L’Empereur disait à tout cela qu’il n’avait jamais songé aux princes ; que les phrases auxquelles je faisais allusion étaient du troisième consul, Lebrun, et sans motif particulier. Que nous semblions, au-dehors, ne nous être jamais doutés de l’opinion du dedans ; que s’il eût eu pour les princes des dispositions favorables, il n’eût pas été en son pouvoir de les accomplir. Toutefois, il avait reçu vers ce temps-là des ouvertures de Mittau et de Londres.

Le roi lui écrivit, disait-il, une lettre qui lui fut remise par Lebrun, lequel la tenait de l’abbé de Montesquiou, agent secret de ce prince à Paris. Cette lettre, extrêmement soignée, disait : « Vous tardez beaucoup à me rendre mon trône. Il est à craindre que vous ne laissiez écouler des moments bien favorables. Vous ne pouvez pas faire le bonheur de la France sans moi ; et moi je ne puis rien pour la France sans vous. Hâtez-vous donc, et désignez vous-même toutes les places qui vous plairont pour vos amis. »

Le Premier Consul répondit : « J’ai reçu la lettre de Votre Altesse Royale ; j’ai toujours pris un vif intérêt à ses malheurs et à ceux de sa famille. Elle ne doit pas songer à se présenter en France ; elle n’y parviendrait que sur cent mille cadavres. Du reste, je m’empresserai tou-