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La décision de la grande mosquée du Caire, en faveur de l’armée française, fut un chef-d’œuvre d’habileté de la part du général en chef : il amena le synode des grands cheiks à déclarer, par un acte public, que les musulmans pouvaient obéir et payer tribut au général français. C’est le premier et le seul exemple de la sorte, depuis l’établissement du Koran qui défend de se soumettre aux infidèles ; les détails en sont précieux ; on les trouvera dans les campagnes d’Égypte.

Il est bizarre sans doute de voir, à Saint-Jean-d’Acre, des Européens venir se battre dans une bicoque d’Asie, pour s’assurer la possession d’une partie de l’Afrique ; mais il l’est bien davantage que ceux qui dirigeaient les efforts opposés fussent de la même nation, du même âge, de la même classe, de la même arme, de la même école.

Philippeaux, aux talents duquel les Anglais et les Turcs durent le salut de Saint-Jean-d’Acre, avait été camarade de Napoléon à l’École militaire de Paris ; ils y avaient été examinés avant d’être envoyés à leurs corps respectifs. « Il était de votre taille, » me disait un jour l’Empereur, qui venait d’en dicter l’éloge dans un des chapitres de la campagne d’Égypte, après y avoir mentionné tout le mal qu’il en avait reçu. « Sire, répondais-je, il y avait bien plus d’affinité encore ; nous avions été intimes et inséparables à l’École militaire. En passant par Londres avec sir Sidney-Smith, dont il venait de procurer l’évasion du Temple, il me fit chercher partout ; je ne le manquai à son logement que d’une demi-heure ; je l’eusse probablement suivi, je ne faisais rien alors, des aventures m’eussent paru séduisantes, et pourtant quelle combinaison nouvelle dans mes destinées !!! »

– « C’est parce que je sais toute la part que le hasard a sur nos déterminations politiques, disait à ce sujet l’Empereur, que j’ai toujours été sans préjugés, et fort indulgent sur le parti que l’on avait suivi dans nos convulsions : être bon Français, ou vouloir le devenir, était tout ce qu’il me fallait. » Et l’Empereur comparait la confusion de nos troubles à des combats de nuit, où souvent l’on frappe sur le voisin au lieu de frapper sur l’ennemi, et où tout se pardonne au jour, quand l’ordre s’est rétabli et que tout s’est éclairci. « Et moi-même puis-je affirmer, disait-il, malgré mes opinions naturelles, qu’il n’y eût pas eu telles circonstances qui eussent pu me faire émigrer ? le voisinage de la frontière, une liaison d’amitié, l’influence d’un chef, etc. En révolution, on ne peut affirmer que ce qu’on a fait : il ne serait pas sage d’affirmer qu’on n’aurait pas pu faire autre chose. » Et il citait à ce sujet un exemple bien singulier du hasard sur les destinées : Serrurier et Hédouville cadet marchent