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Quoi qu’il en soit, dans cette clameur universelle dirigée contre lui au temps de sa puissance, l’Angleterre tint toujours le premier rang.

Il y eut constamment chez elle deux grandes fabriques en toute activité : celle des émigrés, à qui tout était bon, et celle des ministres anglais, qui avaient établi cette diffamation en système ; ils en avaient organisé régulièrement l’action et les effets ; ils entretenaient à leur solde des folliculaires et des libellistes dans tous les coins de l’Europe ; on leur prescrivait leur tâche ; on liait, on combinait leurs attaques, etc., etc.

Mais c’était en Angleterre surtout que le ministère anglais multipliait réemploi de ces armes puissantes. Les Anglais, plus libres, plus éclairés, avaient d’autant plus besoin d’être remués. Les ministres trouvaient dans ce système le double avantage de monter l’opinion contre l’ennemi commun et de la détourner de leur propre conduite, en dirigeant les clameurs, l’indignation publique sur le caractère et les actes d’autrui ; par là ils sauvaient à leur propre caractère, à leurs propres actes, un examen et des récriminations qui eussent pu les embarrasser. Ainsi l’assassinat de Paul à Pétersbourg, celui de nos envoyés en Perse, l’enlèvement de Naper-Tandy dans la ville libre de Hambourg, la prise en pleine paix de deux riches frégates espagnoles, l’acquisition de toute l’Inde ; Malte, le cap de Bonne-Espérance, gardés contre la foi des traités ; la machiavélique rupture du traité d’Amiens, l’injuste saisie de nos bâtiments sans déclaration de guerre, la flotte danoise enlevée avec une si froide et si ironique perfidie, etc., sont autant d’attentats qui ont été se perdre dans l’agitation universelle qu’on avait eu l’art d’exciter contre un autre.

Pour être juste sur les inculpations accumulées sur Napoléon, il faudrait donc s’en tenir aux seuls faits, aux preuves surtout, que n’auront pas manqué de publier ceux qui, l’ayant renversé, sont demeurés maîtres des pièces authentiques, des archives des ministères, de celles des tribunaux, en un mot de toutes les sources de la vérité en usage parmi les hommes ; mais ils n’ont rien publié, rien produit ; et dès lors que de pièces s’écroulent d’elles-mêmes de ce monstrueux échafaudage ! Et pour être plus régulièrement équitable encore, si on ne veut juger Napoléon qu’à côté de ses analogues et de ses pairs, c’est-à-dire à côté des fondateurs de dynasties, ou de ceux qui sont parvenus au trône à la faveur des troubles ; alors, nous ne craignons pas de le dire, il se montre sans égal, il brille pur au milieu de tout ce qu’on lui oppose.

Napoléon a-t-il, comme Hugues Capet, combattu son souverain ? l’a-t-il fait mourir prisonnier dans une tour ?

Napoléon en a-t-il agi comme les princes de la maison actuelle d’Angleterre, qui deux fois couvrirent, en 1715 et 1745, les échafauds de victimes ? victimes auxquelles l’inconséquence politique des ministres