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RACINE.

poser une tragédie « avec cette simplicité d’action qui a été si fort du goût des anciens », et « faire quelque chose avec rien ».

Le choix de ce sujet avait aussi une cause dont le poète ne dit rien. Cette pièce, dédiée au grave Colbert, avait été inspirée par Henriette d’Orléans. Alors que Racine attribue son choix à des raisons purement poétiques, il est certain que sa protectrice le lui avait indiqué, tandis qu’elle en faisait autant pour Corneille et, par un vrai jeu de prince, provoquait ainsi entre les deux poètes un duel où tous les avantages étaient pour Racine. Henriette avait été aimée de Louis XIV, et la politique avait traversé cet amour. Une autre qu’elle, Marie Mancini, avait eu pareille aventure avec le roi. Par une complication de sentiments bien féminine, il plaisait à Henriette de voir ces deux romans enveloppés dans une même fiction. Elle était sûre de ne pas déplaire au roi, qui autorisait les poètes à célébrer ses amours par allégorie. Henriette était morte lorsque les deux pièces furent représentées, celle de Racine le 21 novembre 1670, celle de Corneille le 28 du même mois.

Très bien jouée à l’Hôtel de Bourgogne, avec une nouvelle interprète qui va tenir une grande place dans l’histoire du théâtre, comme dans celle de Racine, Mlle Champmeslé, Bérénice eut un grand succès d’émotion. L’auteur le constatait avec complaisance : « Je ne puis croire que le public me sache mauvais gré de lui avoir donné une tragédie qui a été honorée de tant de larmes, et dont la trentième représentation a été aussi suivie que la première. » Cependant,