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RACINE.

encore plus loin au modèle grec. Racine ne pouvait emprunter à Aristophane la portée sociale des Guêpes, la licence de leur plaisanterie, leur fantaisie lyrique. Il donnait une physionomie toute française et parisienne au sujet grec. Pour les caractères, il se contentait de joindre au juge Dandin, copie réduite de Philocléon, celui de l’Intimé, le plus original de la pièce, la silhouette de Petit-Jean, les caricatures de Chicanneau et de la Comtesse. Son Léandre est pâle à côté de Bdélycléon, et il forme avec Isabelle un couple conventionnel d’amoureux à l’italienne. D’autre part, si le Menteur n’offre pas un fond bien solide, son style franc et dru fait paraître celui des Plaideurs, d’ailleurs si gai et si vif, un peu grêle en sa finesse. Quant aux comédies de Molière, à cette date de 1668, elles avaient élevé le genre au plus haut, car elles comprenaient déjà le Misanthrope et Tartufe, sans parler de l’École des Femmes et de l’Avare. Racine lui-même faisait bon marché de sa pièce. « Si le but de ma comédie, disait-il, étoit de faire rire, jamais comédie n’a mieux attrapé son but. » Mais il ajoutait : « Ce n’est pas que j’attende un grand honneur d’avoir assez longtemps réjoui le monde. »

L’opinion indiquée par ces derniers mots dépasse les Plaideurs et atteint la comédie toute entière ; elle est parfaitement injuste, car la hiérarchie des genres ne peut rien contre celle des œuvres : le Misanthrope vaut Phèdre. Racine donnait dans la même erreur que Molière sacrifiant la tragédie à la comédie. Mais cela montre que, si l’on peut regretter que Corneille n’ait fait qu’une comédie, le regret doit être moindre