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RACINE.

1655, la représentation d’Alexandre le Grand avait confirmé aux yeux des solitaires la honte de leur élève. Au mois de janvier 1656, répondant à des Marets de Saint-Sorlin, auteur des Visionnaires et violent adversaire du jansénisme, Nicole écrivait : « Chacun sait que sa première profession a été de faire des romans et des pièces de théâtre… Ces qualités, qui ne sont pas fort honorables au jugement des honnêtes gens, sont horribles étant considérées selon les principes de la religion chrétienne et les règles de l’Évangile. Un faiseur de romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles. » Racine se crut personnellement visé dans ce passage, et peut-être ne se trompait-il pas.

Cela explique, pour employer les expressions d’un ami de Port-Royal, que le « jeune poète se soit chargé de l’intérêt commun de tout le théâtre». Il publia aussitôt, sans la signer, mais sans cacher qu’il en fût l’auteur, une courte lettre qui est un chef-d’œuvre de méchanceté et d’esprit. Les solitaires étaient aussi parfaits que des hommes peuvent l’être, mais c’étaient des hommes, et ils avaient leurs défauts. Racine les connaissait à fond, pour avoir vécu avec eux ; il savait leurs endroits vulnérables. Jamais attaque excessive et lourde ne provoqua riposte plus mesurée de forme et plus terrible comme portée. Pour un coup de massue, le jeune polémiste rendait un coup de poignard.

La lettre de Racine fit grand bruit, et le public espéra que la belle bataille des Provinciales allait recommencer, aux dépens des jansénistes cette fois.