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RACINE.

tendre et tantôt terrible, qui lui procure le dessin ferme et souple, les couleurs éclatantes et fondues, la solidité et la plénitude dans le moelleux. C’est elle qui range Racine dans la même famille que Sophocle, Virgile, Raphaël et Mozart.

Mais l’élégance, qui choisit, ne crée pas. Ces génies de lumière ont pour foyer commun une autre faculté, la sensibilité passionnée. Elle produit en eux la poésie pittoresque. Ils sont tendres et, par expérience ou affinité naturelle, ils éprouvent les sentiments qu’ils expriment. L’idée ne se présente pas à eux sous la forme rationnelle et logique, plus intellectuelle que sentimentale. Elle éveille l’imagination, qui la traduit de façon concrète et la revêt de couleur. De là, chez Racine, ces tableaux gracieux ou terribles : la dernière nuit de Troie, évoquée par Andromaque, la vision des enfers qui hallucine Phèdre, la pompe impériale dont le souvenir ravit Bérénice, la retraite d’amour caché qu’Hippolyte offre à Aricie. Tantôt ils s’étendent sur plusieurs scènes, baignés d’une clarté radieuse ou sinistre, tantôt ils se concentrent en deux vers, en un seul, comme sous une lueur d’éclair ou un rayon de soleil, pleins de terreur ou de joie, de mélancolie ou d’allégresse :

Le tumulte d’un camp, soldats et matelots,
Un autel hérissé de dards, de javelots.

Dans l’Orient désert, quel devint mon ennui !
Je demeurai longtemps errant dans Césarée,
Lieux charmants où mon cœur vous avait adorée.

D’où vient qu’en m’écoutant vos yeux, vos tristes yeux.
Avec de longs regards se tournent vers les cieux ?