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LE STYLE ET LA POÉSIE DE RACINE.

forme passera dans le drame romantique. Aujourd’hui, l’écho de la tragédie cornélienne vibre toujours, à travers le souvenir de Victor Hugo, dans les drames de MM. Henri de Bornier, François Coppée et Jean Richepin.

Outre cet héritage inévitable, Racine commence, dans la Théhaïde et Alexandre par imiter volontairement son devancier. Il lui prend le ton raisonneur et la dialectique oratoire, ses apostrophes et ses prosopopées, les suites de répliques en deux vers, on un seul vers ou même en un demi-vers, qui procurent au dialogue une marche si rapide et si pressante, les formules énergiques, les sentences et le procédé qui consiste à isoler dans un seul vers un sens plein et concis qui frappe fortement l’esprit. À tout cela Racine renoncera vite. Il ne retiendra guère que le dialogue coupé, pour de rares scènes de son théâtre, par exemple lorsqu’il met aux prises Néron et Britannicus.

Mais la différence de nature est profonde entre Corneille et Racine. D’autre part, le style, c’est-à-dire le caractère particulier que chaque écrivain imprime à la langue commune, est ce qu’il y a de plus personnel chez tout écrivain. Aussi, dès Andromaque, Racine crée-t-il son style, en prenant conscience de lui-même par l’exercice de sa faculté maîtresse, qui est la sensibilité, comme la raison est celle de Corneille. De là, chez Racine, un style plus poétique, tandis que celui de Corneille est plutôt oratoire, car la poésie est l’expression naturelle du sentiment qui veut se communiquer, de même que l’éloquence est celle de la raison qui veut convaincre.