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l’amour éveille la férocité. Il y a une force de vérité qui dépasse singulièrement la portée habituelle du théâtre dans tout le rôle où se trouve ce vers :

J’aimois jusqu’à ces pleurs que je faisois couler.

Quant aux personnages qui ne s’occupent de l’amour que pour combattre l’obstacle qu’il oppose à leurs desseins, comme Agamemnon, pour écarter le danger qu’ils voient en lui, comme Burrhus, pour s’en servir en le méprisant, comme Acomat, le poète, libre de concentrer sur eux l’énergie et la vérité que l’amour n’absorbait plus, les a marqués avec une justesse singulière. Agamemnon, c’est le roi et l’ambitieux chez qui les devoirs de la puissance et la passion du commandement, en lutte avec les sentiments de famille, provoquent un combat déchirant. Burrhus, c’est le ministre honnête homme, plus franc qu’habile, incapable par ses qualités mêmes de s’interposer utilement entre une Agrippine et un Néron. Acomat, c’est le politique sans scrupule, se servant des passions comme de facteurs dans la partie qu’il veut gagner. Abner, c’est le général de capacité purement militaire, né pour servir avec un égal dévouement tous les régimes, mais attaché de cœur aux vieux partis et, s’il est incapable de provoquer une révolte en leur faveur, tout prêt à continuer son métier et sa carrière après une révolution qu’il aurait combattue, s’il en avait reçu l’ordre.

Ces figures, fortes ou fines, sont dominées d’une hauteur écrasante par le grand prêtre Joad, car il